FMJ Mtl14e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
Éz 2, 2-5 ; Ps 122 ; 2 Co 12, 7-10 ; Mc 6, 1-6
5 juillet 2009
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

Au rejet répond la miséricorde

L’auteur de la Lettre aux Hébreux
après s’être mis à l’écoute d’un Psaume ( Ps 94)
et en avoir découvert la richesse, l’actualité, la force,
pousse un cri de stupeur proclamant
que la Parole de Dieu est vivante,
efficace, œuvrante,
plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants
pénétrant jusqu’au plus intime de nous-mêmes ;
porteuse de vérité, de discernement ;
et qu’il n’y a rien de créé
qui puisse rester caché devant elle.
Tout est mis à découvert,
tout est dévoilé,
tout apparaît dans sa vérité (cf. Hé 4,12 ss).

Frères et sœurs, que vient nous dévoiler
l’Évangile d’aujourd’hui ?
Le drame du rejet de Jésus.

Non pas du refus de la part des plus lointains
qui ignorent Jésus et son Évangile,
mais du refus de la part de ceux
qui l’ont fréquenté le plus longtemps,
qui le connaissent comme l’un des leurs,
qui l’estiment.

*

Aujourd’hui, Jésus vient dans le petit village
qui l’a vu grandir : Nazareth.
Jésus avait quitté ses compatriotes
quelques mois auparavant, sans doute,
avait reçu le baptême du Baptiste,
et avait quitter pour le désert
afin de s’y préparer pour sa mission.

Le voici qui revient aujourd’hui.
Joie de revoir l’Enfant du pays ?
Sans doute… mais elle ne dure pas.
Dès le premier sabbat à la synagogue
les choses tournent mal.
À peine a-t-il commencé à parler
que les habitants de Nazareth sont choqués,
choqués, puis, littéralement « scandalisés ».

« D’où ? Tout cela ?
Quelle sagesse !
Elle lui est donnée ?
À lui ?
Et ces grands miracles qui arrivent par ses mains ?
Celui-là n’est-il pas l’artisan, le fils de Marie,
un frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ?
Et ses sœurs, ne sont-elles pas ici, chez-nous ? (Mc 6,2-3)

Ce n’est pas tant le contenu
du message de Jésus qui dérange,
mais c’est sa personne.
Nous ne sommes pas d’accord
pour que de cet homme bien de chez nous
jaillissent une telle sagesse et de tels miracles.

Nous n’aimons pas être surpris
au cœur même de notre milieu.
Que Dieu se manifeste ailleurs, c’est correct ;
mais qu’il déploie ce torrent
de sagesse et de grâce en l’un de nous,
c’est inadmissible !

*

Quel mystère, frères et sœurs !
Jésus vient, le cœur brûlant d’amour pour les siens ;
Il vient leur porter la Bonne Nouvelle
car l’Esprit du Seigneur est sur lui
pour porter aux pauvres l’Évangile du Salut.
Il vient guérir, délivrer, libérer, apaiser,
sanctifier notre humanité si infirme
et nos cœurs se ferment
parce que nous n’aimons pas la grâce
quand nous ne la maîtrisons pas
et quand elle jaillit dans la faiblesse.
N’est-ce pas là les deux conditions
que nous mettons à la grâce ?
Oui, que vienne la grâce, le don de Dieu,
sa tendresse, ses miracles, oui, oui, oui…
mais à deux conditions :
que nous soyons maîtres de la situation,
et que la grâce ne soit pas assortie avec la faiblesse.
Je veux bien de la grâce
dans la mesure où elle se conjugue
avec mon goût du contrôle et ma soif de grandeur.

*

Frères et sœurs, quand il en est ainsi,
Jésus doit s’éloigner, le cœur blessé
et il ne peut faire là aucun miracle.

Mais regardons bien :
est-ce que Jésus quitte Nazareth
en maudissant ses habitants
ou en appelant le feu du Ciel
pour faire de Nazareth
un nouveau Sodome et Gomorrhe ?
Non !
Rien ne peut éteindre l’amour du Cœur de Jésus.
Rien ni personne !
Au contraire tous les rejets ont poussé Jésus
vers le plus grand sacrifice d’amour.
Là où le péché a abondé,
la grâce a surabondé (Rm 5,20).

Comprimé par le rejet, le refus, la haine,
le cœur de Jésus a comme explosé d’amour
répandant ses flots de miséricorde
sur tous les Nazareth du monde
y compris la Nazareth de nos propres cœurs!

Au rejet répond la miséricorde,
toujours,
toujours,
toujours.

*

C’est cela qui a littéralement renversé l’apôtre Paul
car s’il y en a un qui voulait contrôler la grâce
et haïssait la faiblesse, c’est Paul !
Mais l’amour du Christ a retourné son cœur.
Non pas d’un seul coup,
mais dans le patient labeur
de la Miséricorde divine en lui.
La faiblesse, Paul, même converti sur le chemin de Damas,
a commencé par la refuser.
« Seigneur, libère-moi de cette écharde dans ma chair ! »
Je ne veux pas être faible et fragile…
Je veux être fort et agile !

« Par trois fois, j’ai prié le Seigneur
de l’écarter de moi mais il m’a déclaré :
‘Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure
dans la faiblesse’ » (2 Co 12,9).

*

Frères et sœurs, voilà le chemin de la grâce
en nous et dans le monde.
La grâce passe quand nous renonçons à la contrôler,
à la planifier, à la maîtriser
et elle déborde là où la faiblesse
est assumée, accueillie, consentie.

Est-ce que nous ne sentons pas
l’appel intime du Seigneur
qui nous demande de lui ouvrir ce chemin-là
en nous et dans le monde ?

C’est lorsque nous sommes faibles
et peut-être même brisés intérieurement
que l’Amour divin peut se déployer pleinement en nous.

Est-ce que je fais ainsi l’éloge de la misère ?
Non… il s’agit d’être réaliste.
La fragilité n’est pas loin de nous,
elle est en chacun de nous.
Mais au lieu de la refuser,
de nous rebeller, de nous révolter,
nous découvrirons – et Dieu fasse
que nous n’attendions pas la mort pour cela –
qu’elle est la chambre nuptiale
où Dieu vient nous étreindre.

Le goût de la toute puissance et du pouvoir
nous abîme, nous défigure
et ne cesse pas de défigurer l’humanité.
Aujourd’hui, le Seigneur vient réorienter ce goût
vers ce qu’il était à l’origine :
le goût de Dieu, le goût de la gloire éternelle de Dieu.
Et quel en est le chemin ?
Celui de la faiblesse consentie,
celui de la vie livrée dans l’amour.

*

Seigneur, prends ce pain qui est ma vie,
brise mes résistances à la faiblesse et à l’amour
et que je devienne pour les autres ce que tu es :
du bon pain de Vie éternelle.

© FMJ – Tous droits réservés.