FMJ Mtl8e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – A
Frère Antoine-Emmanuel
Is 49, 14-15 ; Ps 61 ; 1 Co 4, 1-5 ; Mt 6, 24-34
27 février 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Les bernaches et les roses sauvages

Ces deux derniers dimanches nous avons entendu l’appel de Jésus
à un style de vie qui va plus loin dans l’amour,
et plus loin dans la vérité, jusqu’à l’amour des ennemis.

Et je croirais volontiers que tous nous avons dit « oui »
parce que la sainteté nous attire.
Mais quand il s’agit de vivre cela bien concrètement,
nous avons du mal.
Il y a quelque chose qui étouffe notre élan.
Mais qu’est-ce donc qui nous bloque sur le chemin de l’amour ?

Jésus nous donne ce matin
une réponse fondamentale à cette question :
notre route est freinée ou stoppée par l’amour de l’argent,
l’amour du gain, des richesses.

Pour nous faire comprendre cela, Jésus emploie une image :
celle de l’esclave et de son propriétaire.
Qui est l’esclave ?
Qui est le propriétaire ?
Nous penserions à priori que nous sommes propriétaires
et que l’argent est à notre disposition.
Jésus nous montre que c’est le contraire qui se produit :
je suis l’esclave et mon propriétaire ce sont mes richesses.

À vrai dire, c’est encore plus complexe,
parce qu’en fait nous voulons, nous, croyants,
servir deux propriétaires, deux maîtres.
Je veux servir Dieu, Lui appartenir, attendre de Lui le Salut,
mais en même temps, c’est sur l’argent que je compte,
c’est l’argent qui devient mon maître.

Or, nous dit Jésus, nul ne peut servir deux maîtres (Mt 6,24).
Il y en a un que tu aimeras et serviras
et l’autre tu le mépriseras en ton cœur.
Est-ce toujours la richesse que nous méprisons ?
Voilà une grande maladie de l’âme : non pas d’avoir des biens,
c’est d’y être attaché, d’en être dépendant.

Frères et sœurs, comment se défaire de cette dépendance ?
Comment devenir libre ?
C’est cela que Jésus nous enseigne dans la suite de l’Évangile,
dans ce passage tellement beau
avec les oiseaux du ciel et les lys des champs.

*

Quelle est la racine de notre dépendance aux richesses ?

Dans notre page d’Évangile, il y a un mot qui revient six fois.
C’est le mot μεριμνα qui signifie « inquiétude ».
Le texte s’ouvre déjà par cet appel :
« Et moi je vous dis : ne vous inquiétez pas… » (v. 25).

Au fond de nous nous portons, nous dit Jésus, deux inquiétudes :
une inquiétude sur notre ψυχη, c’est-à-dire sur notre vie,
sur notre capacité de rester en vie.
L’Évangile nous parle ici de notre besoin de nourriture.
Mettez aussi ici tout ce qui nous semble indispensable
pour notre santé physiologique et psychologique,
du thérapeute aux produits bio en passant par les massages.

L’autre inquiétude est celle qui concerne notre corps ;
l’Évangile parle de notre besoin de vêtements ;
mettez-y aussi tout ce qui nous semble indispensable
pour notre vie sociale,
y compris les technologies de la communication.

Est-ce que je ne vais pas manquer de nourriture ou de vêtements ?
Est-ce que je vais rater des spéciaux
Aurai-je tous les aliments bios qu’il me faut ?
Est-ce que je vais pouvoir lire mes courriels ?

Ces inquiétudes aliènent notre liberté,
elles nous rongent de l’intérieur, elles nous fatiguent.
Or Jésus veut nous remettre debout, nous rendre libre,
et il procède pour cela dans l’Évangile d’aujourd’hui
en trois étapes : une question, une interpellation et un appel.

*

Une question tout d’abord
qu’il nous faudra laisser résonner dans notre cœur :
la vie n’est-elle pas plus que la nourriture ?
Le corps n’est-il pas plus que le vêtement ?

Frères et sœurs, avons-nous conscience de la grandeur
et de la dignité de notre vie, de notre corps ?
Sommes-nous conscients des forces qui sont en nous ?
Relisez votre vécu dans des moments d’épreuves
et vous prendrez conscience des forces qui sont en vous.

La vie est plus que la nourriture :
elle vient de Dieu et elle est, depuis notre conception,
en gestation vers l’éternité qui nous attend.

Notre corps est plus que le vêtement.
C’est par lui que nous entrons en relation avec les autres.
Et il ne sera pas supprimé par la mort, il sera glorifié.

Oui, nous avons besoin de nourriture et de vêtements,
mais nous sommes tellement plus que cela.

*

Suit alors une interpellation, de la part de Jésus,
qui part d’un regard sur la Création :
Regardez les oiseaux du ciel et les lys des champs.
Ou, pour nous ici au Québec :
regarde les bernaches ou les oies sauvages,
qui ne sèment ni ne moissonnent : (Mt 6,26)
regarde les roses sauvages des bords du fleuve
qui ne peinent ni ne filent. (6,28)

D’où vient la nourriture des bernaches ?
D’où vient la beauté des roses sauvages ?

À juste titre, nous pouvons donner ici une réponse scientifique
à partir de l’interdépendance des espèces animales et végétales.
Ne dit-on pas que les coloris des fleurs
sont faits pour attirer les abeilles
dont les fleurs ont besoin pour leur reproduction ?

Tout cela est plein d’enseignement,
mais qui est à l’origine de ces équilibres,
de ces bios-diversités, de ces dynamismes de vie ?
Dieu !
Note Père, notre Créateur.

Notons en passant que la création est encore plus belle
quand on la lit avec un regard de foi.
Et surtout, nous la respectons davantage
quand nous y reconnaissons le don du Créateur.
Est-ce que les désastres écologiques des dernières décennies
ne sont pas contemporains de la perte du sens de Dieu ?
Les amérindiens auraient beaucoup à nous apprendre ici.

Mais revenons à l’interpellation de Jésus :
Si Dieu veille sur la Création,
si, à travers les médiations de la nature
il nourrit les bernaches et revêt de beauté les bords du fleuve,
ne fera-t-il pas bien d’avantage
pour nous qui sommes ses enfants ?
« Votre Père du Ciel sait que vous avez besoin » (v. 32)
de nourriture, de vêtement.

Ne vous inquiétez pas en disant : que manger,
ou que boire ?
ou de quoi nous vêtir ?
Votre Père du Ciel sait ce dont vous avez besoin.

Bien, dirons-nous à Jésus.
Et les famines, les millions d’enfants affamés ?
Mais nous savons bien que les famines et la malnutrition
ne sont pas causées par le manque de blé, de riz ou d’eau.
Elles ont pour cause notre surdité à nous
qui habitons le nord de la planète
et la corruption qui sévit au sud.
Et d’où viennent l’égoïsme et la corruption ?
De l’amour de l’argent !

Non, la vraie question est bien celle de notre relation au Père.
Elle est d’en venir à vivre confiants en Dieu.

Père, j’ai confiance en toi.
J’ai confiance en ta Providence.

Et cette confiance permet à Dieu d’agir
de libérer les richesses de sa Providence.

Nous l’avons entendu de la bouche du prophète Isaïe :
Tu penses que Dieu t’a abandonné, qu’il t’a oublié ?
« Est-ce qu’une femme peut oublier son petit enfant ?
« Même si une femme pouvait l’oublier – ou l’avorter-,
Moi je ne t’oublierai pas » dit le Seigneur (cf. Is 49, 14-15).

Dieu ne nous a pas délaissés
parce que nous sommes dans la modernité !
Dieu est plus moderne que la modernité,
plus audacieux, plus grand, plus jeune !

Il nous faut être des hommes et des femmes de la modernité
qui mettent leur confiance en Dieu.
Une confiance folle, radicale,
c’est-à-dire très simple, très quotidienne.
Le Seigneur est mon rocher, mon salut, ma citadelle
avons-nous chanté dans le Psaume, (Ps 61(62), 3)
je suis inébranlable

Nous vivons dans le monde d’aujourd’hui,
le monde de Facebook et de Twitter
mais notre confiance est, en Jésus, dans le Père.
Nous ne sommes ni des orphelins ni des enfants abandonnés !

Saint François de Sales parle
d’un enfant qui se promène avec son père.
Parce que d’une main
il tient ferme la main de son père,
de l’autre il peut jouer
avec les herbes du bord de la route.
Nous aussi par ce que nous tenons la main du Père,
nous pouvons nous investir
dans le monde d’aujourd’hui.

La présence du Père, sa providence,
nous libère des peurs, des inquiétudes, du repli sur soi.

Voulons-nous être debout, libres, ayant du sel en nous ?
Nous le serons dans la mesure où nous ouvrirons notre cœur
et notre intelligence à la Paternité de Dieu.
Regardons bien en nous, dans notre trésor baptismal :
Jésus a ouvert pour nous un chemin vers la Paternité de Dieu.

*

Jésus nous lance enfin un appel,
un appel à chercher le Royaume et sa justice.

De l’image des oiseaux qui ne font ni semailles, ni moisson,
des fleurs qui ne peinent ni ne filent,
on pourrait conclure qu’il n’y a qu’à être passif
et s’abandonner mollement à la Providence.
Est-ce ce que Jésus a vécu ? Non !
Est-ce son enseignement ? Non !
Au contraire : « Cherchez d’abord
(le) Royaume et sa justice » (v. ),
et ce qui précède dans l’Évangile du Nouveau Testament
nous a montré l’exigence de la justice dont Jésus parle !

Oui, il s’agit bien de travailler
– à partir de notre milieu, de ce qui est à notre portée –
à la venue du Règne de Dieu.

Libérés des inquiétudes par la confiance dans le Père
et, dès lors, libérés de l’amour de l’argent,
nous sommes tous capables de déployer
des énergies d’amour et de vérité formidables !

Nous sommes tous des petites centrales nucléaires d’Amour!
Pourquoi ?
Parce que la Présence personnelle du Dieu nous habite.

Œuvrons, cherchons le Royaume et sa justice…
et nous ferons alors l’expérience
que tout ce dont nous avons besoin
nous sera donné par surcroit.
Ce n’est pas une belle idée, c’est une promesse de Dieu.

*

Résumons :
Sainteté jusqu’à l’amour de l’ennemi : oui !
Qu’est-ce qui y fait obstacle?
l’amour de l’argent qui vient de nos inquiétudes profondes.

Quelle sera notre thérapie : le regard du Père, sa tendresse.

Laissons-nous donc regarder et aimer par le Père
en cet instant, en cette Eucharistie.

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