FMJ Mtl6e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – A
Frère Antoine-Emmanuel
Si 15, 15-20 ; Ps 118 ; 1 Co 2, 6-10 ; Mt 5, 17-37
13 février 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Jésus trop exigeant ?

Quelle exigence !
Un regard de désir porté sur une femme – ou un homme –
a la gravité d’un adultère accompli. (cf. Mt 5,28)

La moindre faute contre un frère
exige réconciliation en bonne et due forme. (cf. 5,25)

Est-ce que nous n’avons pas envie de répondre à Jésus :
Seigneur, j’aurais préféré
que tu viennes abolir la Loi plutôt que de l’accomplir.

Les appels de notre conscience relayés dans le Décalogue
sont déjà lourds… pourquoi en ajouter ?

Pourquoi ?

Ce chapitre 5 de Saint Matthieu est comme certains films
comme le Festin de Babette :
il faut attendre la fin pour en comprendre le sens, la portée.
Regardons le dernier verset :
« Vous donc, vous serez parfaits,
comme votre Père du Ciel est parfait » (Mt 5,48).

Avons-nous déjà pris ce verset au sérieux ?
S’il apparaissait sur notre écran, que ferions-nous ?
Ctrl S ? Ctrl X ? Sauvegarder ? Supprimer ?

Le supprimer parce que c’est impossible.
Avoir dans notre vie quotidienne la perfection même de Dieu ?
C’est comme vouloir mettre l’eau
du fleuve Saint-Laurent dans une tasse !

Ou: le sauvegarder, l’intégrer, le laisser mûrir en nous :
« Vous serez parfaits » : c’est une promesse !
Jésus nous dévoile ce que nous pouvons devenir.
Il nous révèle ce que nous ne savons pas :
nous pouvons accueillir en nous la sainteté de Dieu.

Jésus est mort et ressuscité pour cela :
pour que la sainteté de Dieu,
l’Amour de Dieu vienne en nous
comme un nouveau « système d’exploitation ».

Frères et sœurs, voilà la clé pour comprendre
les exigences morales hyperboliques de ce Chapitre 5 !
La perfection de l’amour est possible
parce que Dieu vient vivre et travailler en nous.

*

Reprenons maintenant les paroles de Jésus sur le regard :
« Or moi, je vous dis :
tout homme qui regarde une femme pour la désirer
est adultère déjà avec elle, en son cœur ! » (Mt 5,28).
Une phrase comme celle-ci, nous avons tendance
à la recevoir comme un principe moral froid
et que de toutes les façons, nous ne pourrons vivre.

Or ce n’est pas un principe moral froid
comme un bloc de surgelé :
c’est une parole de Jésus.
À chaque fois que nous la recevons,
c’est Jésus qui nous parle.
Derrière ces mots, il y a le visage de Jésus
qui nous regarde avec amour.
Derrière ces mots, il y a le sang de Jésus versé
pour que nous puissions correspondre
à cet appel à la chasteté.
Derrière ces mots, il y a la Résurrection
qui est la victoire de l’Amour
sur tout ce qui obstrue notre chemin
vers la pureté du cœur.
C’est Jésus qui nous parle et nous dit :
oui, voilà ce que tu peux désirer dans ta vie !

À l’encontre de toutes les voix qui crient :
« tu n’y arriveras jamais »,
Jésus est là qui nous dit : viens et suis-moi
sur le chemin de la pureté du cœur et du regard et du corps.

Oui, il y a en nous tous,
toutes sortes de passions, de pulsions, de tentations
qui parfois nous mènent une guerre terrible.
Mais aujourd’hui, Jésus pose sur nous son regard
et nous dit que la liberté intérieure n’est pas une illusion.
Elle est donnée à ceux qui font route avec Lui.

*

Si nous prenons l’appel de Jésus à nous réconcilier sans tarder
avec ceux que nous avons blessés, il en va de même :
« Mets-toi d’accord avec ton adversaire, vite,
tant que tu es avec lui sur le chemin » (Mt 5,25).

Ce n’est pas là un commandement version 2.0
plus dur, plus exigeant, plus raide
qui remplace un commandement 1.0 pour débutants.

Non ! C’est une parole de Jésus, une Parole de Vie.
Ce n’est pas un livre qui me dit cela,
c’est le Ressuscité, le Vivant,
le Tout-Puissant dans l’Amour qui me dit :
Marche avec moi, écoute-moi, obéis à ma Parole
et tu verras la sainteté germer en toi !
Et pas seulement en toi !
Le Ressuscité est là qui travaille
à nous relier dans la communion de l’Amour.
Nous ne sommes jamais les premiers
à travailler en vue de la réconciliation et de la paix :
Jésus nous précède, lui qui a été glorifié
les bras étendus sur la croix
pour rassembler notre humanité toute éclatée, toute fragmentée.

Alors, oui, parce que nous savons que l’unité
n’est pas un mythe ou une tromperie commerciale,
nous trouvons le courage d’aller voir celui ou celle
avec qui la relation semble impossible
pour embrayer un patient chemin de réconciliation.

Et parce que nous nous fondons
non sur notre propre illusion
d’être capables de sauver le monde,
mais sur la Parole de Jésus,
rien de ce que nous entreprenons n’est stérile.
Le chantier de la charité est laborieux
mais il n’est plus vain
parce que nous ne sommes plus les maîtres d’œuvre :
Jésus est notre roc et notre Maître d’œuvre.

*

C’est de la même manière que nous pouvons recevoir
l’appel de Jésus à respecter le mariage (cf. Mt 5, 31-32)
et à ne pas frauder avec la vérité (cf. Mt 5, 33-37).

Et nous interpellant à aller plus loin dans la charité et la vérité,
Jésus s’engage à déverser en nous la lumière et la force
qui rendent tout cela possible :
la lumière et la force de l’Esprit Saint.

Jésus est mort pour que nous ayons
une connexion nouvelle et constante avec l’Esprit
qui, de l’intérieur, guide nos pas.

Nous l’avons chanté avec le Psaume :
« Heureux les hommes qui marchent
suivant la loi du Seigneur (Ps 118(119), 1),
suivant la loi intérieure que l’Esprit nous murmure !

D’où le cri du psalmiste :
« Montre-moi comment garder ta loi
‒ ta loi qui monte en moi comme un appel de l’Esprit ‒
que je l’observe de tout cœur ! » (cf. v. 2)

*

Frères et sœurs, voilà un peu de la richesse et de la beauté
des paroles de Jésus sur la Montagne.
Mais nous ne pourrons vivre qu’à une condition :
une condition que la Première lecture
nous donne avec grande clarté :
« Si tu le veux, tu peux observer les commandements,
il dépend de ton choix de rester fidèle.
Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu :
étends la main vers ce que tu préfères » (Si 15, 15-16).

Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu.
L’eau qui donne vie,
qui permet à la vie de se déployer, de porter fruit.
Le feu qui détruit tout, qui calcine, qui endeuille
comme on le voit bien souvent ici.

L’eau et le feu : qu’est-ce que tu choisis ?

Quelle décision avons-nous pris dans notre vie ?
Ou quelle décision allons-nous prendre maintenant ?

Nous avons tendance à désirer la sainteté,
mais en gardant volontairement un certain vague, un certain flou.
Je me décide mais je ne me décide pas.
Nous ressemblons à un architecte qui construit une maison
avec un nombre incroyable d’issues de secours.
Nous voudrions nous donner dans l’amour,
mais avec la possibilité de reprendre notre don à tout moment.

Et cela se comprend fort bien pour qui ignore la Croix de Jésus.
Comment puis-je me donner définitivement
s’il n’y a pas un don définitif qui me précède et me reçoive ?

Qui d’entre nous donnerait son numéro de carte bancaire
sur internet sans avoir la certitude
qu’il s’adresse à un site bien sécure ?
À plus forte raison, nous n’engageons notre existence
que là où nous avons la certitude de la Résurrection.

Or, cette certitude, nous l’avons dans le Christ Jésus.
C’est appuyé sur Jésus que nous pouvons nous déporter
vers un autre style de vie, un autre art de vivre,
ou, pour le dire avec un terme biblique, une autre « sagesse ».

La décision que nous avons à prendre est simple :
quel style de vie choisissons-nous ?
Quelle sagesse choisissons-nous ?

La sagesse de ce monde qui appelle à se protéger contre la vie
ou la sagesse de Dieu,
l’art de vivre de Dieu,
qui appelle à se donner en vue de la vie.

C’est une sagesse mystérieuse, longtemps tenue cachée,
mais que Jésus est venu nous révéler par sa Résurrection.
C’est le qui-perd-gagne évangélique.
« Qui veut sauver sa vie la perdra.
Mais qui perdra sa vie
à cause de Jésus et de la Bonne Nouvelle
la sauvera » (Mc 8,35).

Que sert donc à l’homme de gagner le monde entier
s’il ruine sa propre vie (v. 36) ?

Le Seigneur a mis devant nous l’eau et le feu.
L’eau de la vie donnée
en réponse au don d’amour de Jésus crucifié.
Le feu de la vie gardée pour soi.
Étends la main vers ce que tu préfères.

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