FMJ MtlJeudi, 6e Semaine du Temps ordinaire – A
Frère Antoine-Emmanuel
Gn 9, 1-13 ; Ps 101 ; Mc 8, 27-33
17 février 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Les idées de Dieu et les idées des hommes

Un jour j’ai essayé – comme j’ai pu ! –
de laisser de côté ma conscience chrétienne
et d’en rester au sens de Dieu, au pressentiment de Dieu
que me donne la religion naturelle
inscrite dans ma conscience humaine;
ce pressentiment d’un être immense, juste et créateur.

Et je me suis mis à imaginer l’inimaginable :
que cet être origine de tout
vienne se manifester au milieu de nous
et même qu’il vienne comme un homme.
Qu’est-ce que cela donnerait ?
Je n’ai pas tardé à imaginer des scènes grandioses ;
des manifestations de surpuissance, en surbrillance;
un homme immense, démesuré,
réglant leurs comptes à toutes les injustices de la Terre.
Tout était immense…

*

Quelle différence avec la réalité !
L’Incarnation – la vraie, celle qui est historique,
celle dont Dieu est l’auteur –
est si loin de la surbrillance et des effets spéciaux :
« Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir,
être rejeté (…)
être tué
et, après trois jours se lever » (Mc 8,31).

Confrontant mes projections avec la réalité,
j’ai compris pourquoi Jésus impose le silence
à ses disciples au moment même où, pour la première fois,
ils ont osé lui dire : « Tu es le messie » (v. 29),
c’est-à-dire tu es le Roi sauveur venu établir le Règne de Dieu.

Nous avons si vite fait de projeter sur Dieu
des scénarios qui n’on rien à voir avec la croix.
Aussi Jésus rabroue ses disciples :
qu’à personne il ne parle de lui (cf. v. 30).

Arrêtons-nous sur ce verset.
Combien de fois nous avons entendu le commentaire
que les exégètes donnent d’un verset comme celui-ci ;
il s’agit du « secret messianique »,
et c’est la spécialité de l’Évangile de Marc.
Soit !
Mais est-ce que ce secret messianique
n’appartient qu’aux trois années de la vie publique de Jésus
et ne concerne que douze ou soixante douze juifs
devenus disciples de Jésus ?
Est-ce que ce secret messianique n’est pas aussi une parole de Dieu
qui s’adresse à toutes les générations de croyants ?
Qui s’adresse à nous ?

Si vous entendez un prédicateur proclamer :
« Regardez-moi, suivez-moi
car Dieu m’a béni.
Je ne manque de rien : voiture de luxe, argent,…
Dieu m’a donné toutes les richesses que je pouvais désirer.
Dieu veut vous bénir tous de la même manière
et vous serez riches vous aussi ».
Est-ce là l’Évangile de Jésus crucifié ?

Mais déjà, sans aller jusqu’à cette caricature,
si Jésus est pour nous l’antivirus gratuit dernière génération
qui nous assure de ne pas avoir de problème
et d’être nous-mêmes tout-puissant,
alors… taisons-nous !

L’Évangile nous appelle à nous taire d’abord
et à ne parler de Jésus
que dans la mesure où nous aurons été plongés
d’une manière ou d’une autre
dans Sa croix,
Sa Pâques,
Sa mort et Sa Résurrection,
Son échec et Sa gloire.

*

Il nous faut ici contempler ce qui a pu habiter le cœur de Pierre
après s’être fait remettre à sa place par Jésus.
Voyant ses disciples, Jésus rabroue Pierre et dit :
« Va t en, derrière moi, Satan !
Car tes idées ne sont pas celles de Dieu
mais celles des hommes ! » (v. 33)

Comment Pierre a-t-il digéré ces paroles ?
Comment est-ce que nous les digérons ?
Jésus nous dit, Jésus me dit ce soir :
Reprends ta place,
ta place de disciple !
Ne sois plus satan
qui entraîne les autres hors du chemin de l’amour !
Tes idées sont celles des hommes,
et non pas celles de Dieu…

Est-ce que ces paroles de Jésus ne sont pas pour nous
une formidable libération ?
Un horizon qui s’ouvre ?
Dieu merci, Dieu est plus grand que moi,
plus grand par son Être,
plus grand par son humilité,
plus grand par son Amour.
Je n’ai pas à le réduire à ma mesure
mais à plonger dans son Amour sans mesure.
Qu’il en soit béni éternellement.

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