FMJ MtlLE SAINT SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST – C
Frère Antoine-Emmanuel
Gn 14, 18-20 ; Ps 109 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11-17
6 juin 2010
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

Présence, dignité, éternité

Le jour commença à baisser (Lc 9,12)
nous dit aujourd’hui Saint Luc
quand il nous raconte la multiplication des pains.
N’est-ce pas aussi ce qui se passe
lors de la Dernière Cène
et lors de la fraction du pain à Emmaüs ?

Les trois textes eucharistiques de l’Évangile de Luc
ont en commun de se situer à la tombée du jour.
Or, dans la culture biblique,
la tombée du jour annonce le début d’un nouveau jour.

L’Eucharistie annonce ainsi l’entrée dans un jour nouveau.
Un jour qui commence par l’obscurité.

Frères et sœurs, si nous consentons à cette obscurité,
à l’obscurité de la foi,
nous accédons à un jour nouveau,
à un trésor extraordinaire.

Oui, l’Eucharistie est un trésor inouï entre nos mains.

Essayons en cette fête d’entrer ensemble dans ce jour nouveau !

*

Regardons de près la scène évangélique de ce jour.
Le contexte nous décrit une foule affamée en quête de vie.
C’est sain !

Quelle solution prônent les apôtres?
Celle de renvoyer les foules !
L’endroit est désert… il n’y a rien ici !

Cette manière de faire a été – et est souvent encore –
celle de bien des chrétiens depuis les années ’70 :
renvoyer ailleurs la foule.
Ne cherchez pas la vie dans l’Église, dit-on,
elle est un endroit désert… il n’y a rien ici !

Quelle erreur !
Certes, nous n’avons pas plus de cinq pains
et deux poissons (Lc 9,13).
Certes, nous sommes pauvres !
Mais c’est un temps béni pour découvrir et surtout partager
notre vraie richesse qui est Jésus Eucharistie !

Il nous faut nous inspirer de l’attitude de l’apôtre Pierre qui disait :
« De l’argent et de l’or, je n’en ai pas,
mais ce que j’ai, je te le donne :
au nom de Jésus le Nazaréen, marche ! » (Ac 3,6)

Non l’Église n’est pas un endroit désert.
Elle est le lieu où Jésus se donne d’une manière unique.
Si de bien des manières il se donne en dehors
de nos communautés chrétiennes,
au cœur de l’Église, il se donne en Eucharistie,
c’est-à-dire dans une profondeur, une folie de don !

Lors des pèlerinages à Jérusalem,
un des points marquant pour les pèlerins
est lorsqu’ils entrent pour la première fois
dans la basilique du Saint-Sépulcre.

Récemment, j’ai ainsi emmené les pèlerins au Golgotha.
Nous y sommes montés et nous y avons prié en silence.
Ensuite, à la chapelle d’Adam, j’ai proposé une petite catéchèse
sur le Sang du Christ.
À la chapelle Sainte-Hélène
j’ai évoqué la descente aux enfers
et nous avons vécu une prière de libération.
Puis nous sommes allés prier près du tombeau du Christ,
là où le Seigneur a été déposé,
là où il s’est relevé vivant.

J’avais montré aux pèlerins les lieux les plus saints
de la foi chrétienne et dont l’authenticité est vraie et indiscutable.
Des lieux saints par excellence !
Je quitte alors les pèlerins
car chacun pouvait aller méditer là où il voulait.
Je fais quelques pas et me trouve devant un petit groupe de pèlerins
célébrant la messe dans une grande simplicité.
Je suis tombé littéralement à genoux.
Une immense clarté m’a envahi :
le « lieu saint » par excellence,
c’est là où se célèbre l’Eucharistie n’importe où sur la Terre.
Les « lieux saints » sont tellement secondaires
devant l’Eucharistie !

Car l’Eucharistie est « lieu » incomparable de la Présence de Dieu.
Toute la Trinité est là dans un échange d’Amour incroyable
qui déborde sur nous tous
et nous emporte en Dieu, nous emporte dans l’Amour.

*

Non, ne renvoyons pas les foules !
Au contraire, Jésus nous dit :
donnez-leur vous-mêmes à manger (Lc 9, 13).
Cette parole, je le crois,
n’est pas adressée seulement aux prêtres, mais bien à tous.

Donne à tes frères et sœurs le Pain de Vie.
Conduis-les à ma table !
Parce qu’il y a du pain – du Pain de Vie – pour tous !

C’est cela le miracle de l’Eucharistie : tous mangèrent à leur faim.
Chacun a trouvé dans le pain du Christ
la vie, la force dont il a besoin pour ce qu’il vit.

Ils mangèrent et furent tous rassasiés,
et ce qu’ils avaient eu de reste fut emporté :
douze couffins de morceaux ! (Lc 9,17)

Il y a du pain non seulement pour la foule
qui est là à Bethsaïde – 5000 hommes –
mais il reste une corbeille pour chacune des tribus d’Israël,
c’est-à-dire pour tout le peuple.

Et à la deuxième multiplication des pains
sur la rive païenne (cf. Mt 15,29-39),
il restera sept corbeilles de pains ;
c’est dire qu’il y a du Pain de Vie pour toutes les nations.

Il n’y a pas un homme, pas une femme
qui ne soit invité à la table du Christ.
Quelle dignité !
Nous sommes tous invités :
Heureux les invités (Ap 19, 9)
proclame le célébrant en nos Eucharisties,
et non pas « heureux nous les invités ».
Car tous sont invités !

Bien sûr il faut s’y préparer le cœur
par le baptême et la conversion,
mais le fait est là : nous sommes tous invités
à entrer dans le mystère de l’Eucharistie.
Quelle dignité !

Lors de ce même pèlerinage,
nous avons évoqué Abraham dans le désert du Néguev.
Ce matin-là, nous avons monté l’autel, placé la nappe
et commencé la célébration
en faisant mémoire d’Abraham
qui allait de campement en campement
en construisant des autels à chaque fois.

J’ai été saisi par le sentiment du privilège immense
que nous, chrétiens, nous avons.
Nous n’offrons pas une chèvre ou un taureau
mais le sacrifice parfait.
De quelle dignité nous sommes tous revêtus !

Nous offrons le sacrifice du Fils de Dieu, au Père.
Rien n’est plus grand, plus beau !
Nous choisissons de nous offrir avec le Christ au Père.

Le plus pauvre, le plus blessé des humains
est tellement grand quand il célèbre l’Eucharistie.
La parole de Jésus :
« Faites ceci en mémoire de moi »
nous insère dans une dignité incroyable.
Notre vie monte avec Jésus vers le Père.

*

« Faites ceci en mémoire de moi » ;
Paul, nous venons de l’entendre,
rapporte cette parole de Jésus aux chrétiens de Corinthe.
Dans la lettre qu’il leur adresse,
Paul s’insurge contre ceux
qui réduisent la célébration de l’Eucharistie
à un repas de communauté,
et, qui plus est, un repas désordonné.

Non, l’Eucharistie ne peut être ramenée
à un repas où l’on célèbre notre « être ensemble » !
Chaque fois en effet que vous mangez ce pain
et que vous buvez cette coupe,
vous annoncez la mort du Seigneur,
jusqu’à ce qu’il vienne (1 Co 11,26).

Déjà, en participant à l’Eucharistie,
nous annonçons,
nous proclamons,
nous sommes des témoins.

Qu’est-ce que nous annonçons ?
La mort du Seigneur.
Une mort qui ressemble à du pain rompu et partagé
et à du vin offert à tous !
Une mort qui devient vie et joie pour les autres.
Une mort qui devient un banquet qui rassemble des multitudes.
Une mort que l’Amour a transformé en entrée de la Vie éternelle.

Pourquoi Luc parle-t-il dans l’Évangile
de « s’attabler » en pleine nature ?
Parce que la multiplication des pains
annonce le banquet céleste !
Elle préfigure l’Eucharistie
qui nous fait déjà goûtera à la table du Ciel.

Durant ce même pèlerinage,
le dernier jour où nous étions à Jérusalem
nous avons célébré la messe dans le tombeau de Jésus.

Aujourd’hui le tombeau se présente comme deux petites chapelles.
La première, la chapelle de l’ange
donne accès au tombeau proprement dit
par une porte de 3 ou 4 pieds de haut.

Nous avons célébré la Liturgie de la Parole
dans la première chapelle
puis je suis entré avec un concélébrant dans le tombeau
pour la Liturgie eucharistique.

Pour l’élévation, par deux fois, puis pour la communion,
qu’est-ce que j’ai dû faire ?
M’abaisser avec Jésus entre les mains
et sortir du tombeau – tout petit –
pour aller vers les fidèles leur donner Jésus.

Cela a été une joie immense :
parce que l’Eucharistie c’est cela : Jésus sort vivant du tombeau
et vient à nous de manière très humble pour se donner à nous,
pour nous faire vivre.

Oui, l’Eucharistie c’est un banquet éternel !
C’est le Christ ressuscité qui vient à nous
pour nous faire vivre de la vie éternelle.

Vous remarquerez que dans l’Évangile
les multiplications de pains
sont toujours associées à une traversée du lac :
elles sont toujours de quelque manière « sur l’autre rive » !

La messe, c’est la fête du Ciel que nous anticipons !

*

Résumons :
l’Eucharistie est une présence divine extraordinaire
confiée à l’Église où tous nous sommes revêtus
d’une dignité extraordinaire,
et où la Vie éternelle nous est déjà offerte.

Voilà un peu de la richesse qui se dévoile
quand nous consentons à l’obscurité de la foi,
quand nous persévérons dans la foi
avec le regard et le désir :
un jour nouveau se lève dans nos vies !
Une joie immense.

La joie la plus profonde de la Terre
est enfouie dans l’Eucharistie.

Quand nous la découvrons,
on ne peut que vendre tout le reste
pour vivre de l’Eucharistie
et surtout et pour l’offrir à tous :
« donnez-leur vous-mêmes à manger » (Lc 9,13).

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