FMJ Mtl12e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Za 12, 10-11 ; 13, 1 ; Ps 62 ; Ga 3, 26-29 ; Lc 9, 18-24
20 juin 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Les trois maçons de Jérusalem

La prophétie de Zacharie que nous venons d’entendre,
datant sans doute du IVe siècle avant le Christ
voit loin, très loin,
et nous annonce qu’une source va jaillir à Jérusalem (cf. Za 13,1).
Une source en pleine ville.
Quelle est cette source au cœur de la ville sainte ?
Ou mieux : qui est cette source ?

La question restera sans réponse
jusqu’au jour où le rabbi Jésus criera
au dernier jour de la Fête des tentes :
« Si quelqu’un a soif,
qu’il vienne à moi et qu’il boive » (Jn 7, 37).

Nous avons désormais à notre disposition une source
d’où jaillissent des fleuves d’eau vive ( v. 78).

Est-ce que nous buvons à cette source ?

*

On raconte qu’à Jérusalem
il y avait trois maçons qui avaient été choisis
pour bâtir une maison pour les plus pauvres.
Ils se mirent ensemble au travail.
Le labeur était rude sous le soleil de Judée
mais ils bénéficiaient d’une source abondante
où ils pouvaient boire autant qu’ils le voulaient.
De fait, tous les trois buvaient.
Mais ils buvaient d’une manière bien différente.

Le premier lapait à peine un peu d’eau et retournait au travail.
Le deuxième buvait quelques gorgées et reprenait le labeur.
Le troisième s’arrêtait, buvait abondamment,
s’hydratait en profondeur et retournait à la tâche.
Le premier dut très vite arrêter le travail
et il n’avait même plus la force d’aller boire ;
le second multiplia les efforts quelques jours puis s’épuisa ;
le troisième travailla, travailla dur, travailla seul.
Il alla jusqu’au bout de la construction
et put recueillir les deux autres maçons
dans la maison enfin construite.

*

Une source,
mais trois manières de boire.
C’est dans le fond la question
de l’évangile d’aujourd’hui.
Car cette page d’évangile
nous montre trois manières de boire
à la source qu’est le Christ ;
trois manières de connaître Jésus.

Il y a d’abord « la foule ».
Pour la foule, Jésus est un prophète.
C’est donc un homme que l’on écoute
parce qu’il parle au nom de Dieu.
Mais l’expérience biblique nous enseigne
que le prophète finit toujours par être rejeté…

Si Jésus est pour nous seulement un prophète,
nous sommes comme le premier maçon :
nous serons incapables de bâtir durablement l’amour ici-bas.
Nous serons très vite déshydratés.

Il y a ensuite « les disciples »
et Pierre tout particulièrement qui confesse :
« Tu es le Messie de Dieu » (Lc 9,20).
C’est très différent, car ils ont reconnu en Jésus
le Messie, le roi qui sauve Israël.
Ils ont dès lors une grande attente,
une ouverture réelle à ce que Jésus va déployer
pour établir le règne de Dieu.

Mais connaître Jésus comme messie
ne suffit pas pour aller jusqu’au bout de notre vocation à l’amour.
Nous ressemblons au deuxième maçon
qui commence à bâtir avec enthousiasme,
mais qui a vite fait de flancher.
Dès que vient l’épreuve, nous n’avons plus de force.
La troisième manière de connaître Jésus,
c’est de reconnaître en lui le messie, oui,
mais pas un messie qui triomphe par la force et la violence :
le Messie qui triomphe par la souffrance et par la croix.
Le Messie crucifié.
Le Seigneur sur la croix,
le Seigneur par la croix.
Quiconque connaît Jésus de cette manière
ressemble au troisième maçon :
il boit profondément à la source du Christ,
il s’hydrate jusqu’au plus profond de l’âme.

Si nous buvons ainsi à pleines gorgées au mystère de la Croix,
nous pouvons, oui, aller jusqu’au bout de notre appel.
Nous sommes alors de ceux qui bâtissent la communion,
qui construisent quelque chose qui appartient déjà au ciel.

*

Frères et sœurs,
regardons notre vie,
regardons notre semaine à peine achevée,
regardons cette année.
Est-ce que tu as effectivement bâti l’amour ?
Est-ce que tu as servi la communion, la réconciliation, la paix ?

Ce que tu as vécu te révèle la manière dont tu as bu…

Il y en a parmi vous
qui souffrent pour prendre soin d’enfants en difficulté ;
qui souffrent pour témoigner de l’Évangile
dans un monde sécularisé à l’excès ;
qui souffrent pour être présents auprès des plus pauvres,
pour les écouter, les consoler ;
qui souffrent pour tenir bon dans le labeur de la vie consacrée,
qui souffrent pour que des âmes moribondes ressuscitent.

Heureux êtes-vous,
parce que vous avez bu à la source du Christ !
Heureux êtes-vous
parce que vous connaissez le Christ dans sa croix !

Oui, ce que nous vivons révèle
comment nous buvons à la source du Christ.

Et personne ne peut boire à notre place,
personne ne peut croire à notre place.

Il suffit de penser à notre mort :
ce qui va compter,
ce qui seulement comptera,
c’est ce que tu crois.

Souvent nous esquivons la question de la foi
et nous nous réfugions dans ce que les autres croient,
ou dans ce que les autres refusent de croire.

Mais pour toi, qui est Jésus ?
C’est la question que Jésus nous pose aujourd’hui.
Où est ton cœur ?
Où va ton cœur ?

*

Frères et sœurs, prenons un moment
pour descendre en nous,
pour entrer dans notre grand Sanctuaire intérieur.

Si nous écoutons l’Esprit parlant à travers notre conscience,
nous reconnaissons en Jésus un prophète
dont la Parole et la vie disent Dieu.

Si nous écoutons l’Esprit à travers l’Écriture
méditée, ruminée, travaillée,
nous reconnaissons en Jésus le Sauveur du monde.

Si nous écoutons l’Esprit dans son onction de Pentecôte
nous reconnaissons en Jésus le Seigneur,
le Messie crucifié
mon Seigneur et mon Dieu (Jn 20,28) !

C’est ce que nous révèle
la grande vision d’Ézéchiel :  (cf. Éz 37,1-8)
par la parole nous commençons à vivre,
et par l’Esprit nous sommes intérieurement debout,
pleins de vie,
prêts à donner notre vie.

Quand, au témoignage de l’eau et du sang
s’ajoute le témoignage intérieur de l’Esprit, (cf. 1 Jn 5,7-8)
alors, oui, nous devenons de vrais croyants.

Au plus intime de nous-mêmes,
en deçà des affections et des émotions,
laissons agir l’Esprit.

Aujourd’hui le Seigneur nous a annoncé
qu’il répand sur nous
un esprit de grâce et de supplication (Za 12,10)
et nous lui faisons place dans notre cœur.

Comme dit l’apôtre Paul,
l’Esprit Se joint à notre esprit (Rm 8,16)
et nous le laissons faire,
pour connaître le Christ dans tout son mystère d’amour.

Parce que nous sommes baptisés,
la vérité est que nous sommes morts
et que notre vie
est désormais cachée avec le Christ en Dieu (Col 3,3).

Mais il y a en nous des résistances à la foi ;
nous avons tendance à nous tenir à distance de Jésus ;
à argumenter intérieurement contre la foi…

Aujourd’hui, le Seigneur nous invite
à lui donner, à lui remettre le plus profond de nous-mêmes.
La foi, c’est donner à Jésus
le plus profond de ce que je suis,
c’est-à-dire mon âme.

Oui, je veux perdre ma vie pour toi (cf. Lc 9,24)
comme tu me le dis dans l’Évangile,
en renonçant à des récompenses,
à des satisfactions humaines
qui brisent l’élan de la charité.
Oui, je veux renoncer à moi-même (cf. 9,23)
pour ne m’attacher qu’à Toi,
Jésus, Seigneur crucifié.

*

Quelque chose de nuptial se joue au plus profond de nous.

Je te reçois comme époux,
Jésus, crucifié et ressuscité,
et je me donne à toi…

À Jésus, ce matin, il nous faut offrir
les cadeaux de noces qu’il désire.
Lui offrir notre péché,
nos misères,
nos désirs,
nos joies,
et notre âme.

Le Psalmiste nous l’a fait chanter tout à l’heure :
mon âme a soif de Dieu (Ps 62(63),2).
Oui, notre âme a soif de recevoir Dieu
et elle a soif de se donner à Dieu.

Frère, sœur, ton âme a soif de Dieu,
ne la laisse pas mourir de soif.
Et ne laisse pas mourir de soif
l’âme de tes frères et sœurs en humanité.

Si tous nous buvons,
si tous, nous nous hydratons en profondeur,
nous allons pouvoir construire une maison
où pourront se réfugier beaucoup, beaucoup
d’âmes inquiètes,
d’âmes desséchées,
d’âmes moribondes.

*

Frères et sœurs, « la source a soif d’être bue » (St Augustin).

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