sanct - smSamedi, 2e Semaine de Carême – A
Mgr Jacques Berthelet, C.S.V.
Mi 7, 14-15.18-20 ; Ps 102 ; Lc 15, 11-32
22 mars 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La communion retrouvée

Frères et sœurs,

Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père :
Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Le père leur partagea son avoir. Peu de jour après, le plus jeune fils ramassa tout et partit pour un pays lointain où il dissipa son bien dans une vie de désordre. (Lc 15, 11-13)

Que le fils demande sa part d’héritage est assez inhabituel, mais remarquez que le père partage son avoir avec ses deux fils : il LEUR partagea son avoir. Tous les mots sont importants : le père partage, le fils cadet dissipe, dilapide. Pour le père, tout ce qui est à moi est à toi (v. 10) (parallèle avec la prière sacerdotale) ce qui signifie la communion ; le fils, lui, veut devenir propriétaire, indépendant. Le père respecte la liberté du fils, il ne veut pas être aimé de force ou par une seule loi extérieure; il accepte même que le fils prenne ses distances, parcoure un long chemin pour revenir à lui librement…

Le fils, donc, part pour un pays lointain. Ce n’est pas la mission. Il n’est pas envoyé, car alors la communion ne serait pas rompue. Il quitte son père, la famille, la communauté. Loin de son père, de sa famille, de sa communauté. Loin de lui-même. Il va vivre à l’extérieur de lui-même, l’extérieur de la maison. Il sera loin de ses sources, de ce qui l’a fait naître, de ce qui le fait être comme fils, frère, membre de la communauté, loin de ses sources intérieures.

On peut appliquer cela à nos propres vies. L’intériorité, c’est être en contact avec la source, avec la paternité. Le Père est en moi et je suis dans le Père. Être à la source de ce qui nous fait être comme religieux, comme prêtres, comme chrétiens ; avec la réalité sacramentelle qui nous fait être en Église comme corps du Christ.

Pensons aussi à Paul qui s’adresse à Timothée en l’invitant à raviver en lui le don qui lui a été fait lors de l’imposition des mains, de l’engagement pris lors de la profession religieuse d’adopter la forme de vie de Jésus pauvre, chaste et obéissant.

Il dissipa son bien dans une vie de désordre. (v. 13)
Certains auteurs traduisent dans une vie de débauche. C’est plutôt le fils aîné qui dit cela. C’est plus exact de parler d’une vie de désordre. Le désordre est l’envers de l’intériorité de la communion. L’ordre, c’est l’économie du salut (oiXos et nornè). L’économie, c’est la loi de la maison, l’économie du salut. Le désordre, c’est de se situer en dehors du chemin communautaire, du chemin de communion avec soi-même, avec le père, avec la famille, la communauté. On ne partage plus, on dissipe le bien qui est celui du Père, le bien qui nous est confié pour être géré, pour qu’il produise du fruit, le bien de la grâce, de la communion; le bien qui est confié au chrétien, au religieux, au prêtre.

Quand il eut tout dépensé, il survint une grande famine dans ce pays et il commença à se trouver dans l’indigence. (v. 14)

La conversion se produit en empruntant divers chemins. Le plus souvent celui d’un besoin, d’un manque, de l’expérience du vide intérieur (ou extérieur), c’est le cas du fils de la parabole. Ses premiers motifs ne sont pas très purs. Il passe aussi par l’humiliation. Garder les porcs ‒ animaux impurs pour les juifs ‒ est un métier humiliant. Il n’a plus d’argent, il a faim, c’est le premier pas vers la conversion.

Alors il rentre en lui-même et il se dit : combien d’ouvrier de mon père ont du pain en abondance, tandis que moi je suis ici à périr de faim. (v. 17)

Rentrer en soi-même n’est pas encore l’intériorité à son plus haut degré… On peut s’apitoyer sur son sort, être refermé sur soi-même, mais le fils n’en reste pas là. En rentrant en lui-même, il se dit: « Je vais aller vers mon père. » (v. 18) Il se reconnaît comme fils. Il rétablit déjà une communion spirituelle.

Et je lui dirai : père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un serviteur. (v. 18-19)

Il se reconnaît pécheur. Il reconnaît qu’il a brisé une relation intérieure, celle de la filiation.

Il se leva et alla vers son père… (v. 20)
Il se leva. Le mot grec employé (anastenai) est le même qui est employé pour désigner « ressuscité ». Surgens, en latin, au passé surrexit. Il se leva ‒ un « surrection ». On voit poindre une nouvelle vie. Et il alla vers son père. La conversion est une marche, un chemin, une nouvelle vie. La conversion est permanente.

Nous sommes dans une condition de conversion. Toute notre vie est appelée à être conversion. Elle est la reconnaissance de notre état de pécheur : « J’ai péché contre le ciel et contre toi ». ll n’y a pas de conversion sans reconnaissance de notre état de pécheur, sans qu’on se lève, comme dans une nouvelle naissance, sans que l’Esprit nous conduise vers le Père, vers la Source, vers la communion. Et disons en passant que le sacrement de la réconciliation est toujours comme un nouveau baptême.

Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié. (20) Il était encore loin… Encore dans la dispersion. C’est là que son père vient le chercher. Le cœur du père s’émeut. Et le fils n’a pas le temps de finir sa confession que le père dit à ses serviteurs : « Vite, apportez la plus belle robe et habillez-le; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. » (v. 22) La robe est la tenue du fils et non de l’employé; l’anneau est le signe de l’autorité du fils; les sandales, la tenue de l’homme libre. Le père le remet dans la condition de fils.

La conversion s’achève dans la communion du fils avec le père, dans la condition de personne libre, elle lui redonne l’autorité morale. Et le signe de tout cela est la joie, la joie d’un retour à la vie. Mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie (32). Joie de la nouvelle naissance manifestée aussi dans le festin offert.