FMJ Mtl4e DIMANCHE DE PÂQUES – C
Frère Thomas
Ac 13, 14, 43-52 ; Ps 99 ; Ap 7, 9.14-17 ; Jn 10, 27-30
21 avril 2013
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Être des bons pasteurs les uns pour les autres

Un jour, lorsque je me promenais dans la ville de Bruxelles,
en passant devant une école technique,
un jeune m’interpelle.
Il désire mieux connaître
le sens de l’habit religieux que je porte.
Je lui dit : « Je suis consacré, j’ai donné ma vie à Dieu. »
Il me répond alors : « Mais non,
vous n’avez pas donné votre vie
puisque vous êtes toujours là ! »
C’est alors qu’un de ses camarades,
présent à la conversation, essaie de lui expliquer :
« Mais c’est une façon de parler. »
En mon for intérieur, je me disais :
« Non, ce n’est pas une façon de parler,
en se consacrant à Dieu,
nous donnons véritablement notre vie ! »

Mais en Jésus, nous la retrouvons.
C’est pour cela que nous sommes toujours là.
Avec Jésus Bon Pasteur,
nous assistons à une chaîne de don de soi.
Le Père Se donne au Fils,
Il Lui donne la Vie et Il Lui donne des brebis
– des hommes et des femmes pour qu’Il en prenne soin – ;
et le Fils Se reçoit du Père.
Le Fils, Jésus, Se donne à ses brebis – c’est-à-dire à nous – ;
et nous nous recevons de Lui.
À notre tour nous sommes appelés
à nous donner les uns aux autres
et à nous recevoir les uns des autres :
à bâtir une société fondée sur le don.

Regardons d’abord le Père.
Il Se donne en créant.
Il est Dieu,
Il Se suffit à Lui-même.
Il n’a nul besoin de créer,
surtout pas de créer des êtres vivants
qui pourront mal utiliser leur liberté.
Si Dieu est allé jusqu’à créer l’être humain
à son image et à sa ressemblance,
c’est que vraiment Il avait le sens du don gratuit.

Saint Paul nous dit que le Père
a tout créé par son Fils.
Et lorsque Saint Jean nous dit
que le Fils est le Verbe de Dieu,
la Parole de Dieu,
nous comprenons mieux cela, car nous savons,
dans le premier récit de la Création,
que Dieu a créé le monde par sa Parole.
« Dieu dit… et il en fut ainsi. »
Le Père Se donne ainsi à son Fils en créant,
puisqu’Il le dit en parlant.

Et plus encore, le Père donne la Création à son Fils
lorsque le Fils S’incarne.
Il Lui donne ses brebis.
Le Père donne au Fils
d’accomplir toute sorte d’œuvres merveilleuses,
durant la vie publique de Jésus.

Et finalement le Père a relevé son Fils d’entre les morts
et l’a fait asseoir à sa droite.
Le Père n’est que don pour le Fils
et pour nous,
qui sommes sa Création,
qui sommes ses brebis,
et qu’Il aime comme ses enfants.

Le Fils à son tour Se reçoit entièrement du Père,
Il vit par le Père.
Déjà entre le Père et le Fils
tout n’est que don…
donné et reçu.
Le Père est le Pasteur, le Berger,
le Fils est la brebis.

Mais le Père fait aussi de son Fils un Pasteur.
Et même le Père Se laisse aimer par le Fils,
quand le Fils Se plaît à faire sa volonté.
La confiance réciproque est totale.
Pas l’ombre d’une rivalité,
pas une contestation ni de revendication.
Parfait amour paternel,
parfait amour filial.
Parfait amour nuptial pourrions-nous dire même,
puisque le Père et le Fils sont UN.

Le Fils à son tour, Jésus,
Se donne à ses brebis.
Il est le bon pasteur,
qui donne sa vie pour ses brebis.
Il n’est pas comme le mercenaire qui s’enfuit
quand arrive le loup.
Mais alors, pour sauver ses brebis,
le bon pasteur devrait-il laisser le loup
prendre sa vie ?
C’est là que je reprends la question du jeune :
« Si vous dites que vous avez donné votre vie,
comment se fait-il que vous soyez encore devant moi ? »

Jésus a bel et bien donné sa vie ;
Il a été bel et bien mis à mort.
Il a donné sa vie
mais pour la reprendre.
Ou plutôt, en donnant sa vie pour nous,
Jésus S’est abandonné entre les mains du Père.
C’est pour cela qu’Il a pu retrouver, reprendre sa vie,
ressuscitée, glorifiée.
Donc, donner sa vie par amour,
ce n’est pas la fin
car il y a la résurrection après.
D’ailleurs Jésus le dit bien :
« Qui veut sauver sa vie la perd,
qui perd sa vie à cause de Moi la trouve » (Mc 8,35)

Nous voyons cela aussi dans le discours sur le Pain de Vie.
Lorsque Jésus dit être le Pain de Vie,
nous pourrions penser qu’Il meurt pour nous donner la Vie.
Le grain de blé meurt en étant broyé
pour donner la farine puis le pain,
et c’est nous qui recevons la vie en le mangeant.
Mais Jésus dit aussi être le Pain vivant :
« Quiconque Me mange vivra par Moi. »
À l’Eucharistie, quand nous communions
nous n’assimilons pas Jésus-hostie
comme nous assimilerions du pain ordinaire ou un fruit.
C’est Jésus qui nous donne sa Vie et qui ensuite vit en nous,
faisant de nous des membres de son corps.
Ce n’est pas Jésus qui devient Jacques,
c’est Jacques qui devient Jésus…
si Jacques laisse Jésus prendre toute sa place.

Là encore, il convient que nous recevions le don inouï
que Jésus nous fait de sa Vie.
Il dépond de nous que nous soyons des brebis de Jésus,
le Bon Pasteur.
Il s’établit alors entre Lui et nous
une relation de parfaite confiance :
nous écoutons Sa voix ;
Lui nous connaît, et nous le suivons.
Il nous donne la Vie éternelle ;
jamais nous ne périrons, personne ne les arrachera de sa main ».
Il s’établit entre Jésus et nous
une relation semblable à celle entre Jésus et le Père :
une relation filiale, nuptiale.
Et il n’y a dans cette relation pas l’ombre d’une domination.
Et ceci parce que c’est le Père qui nous a donnés à Jésus,
dans sa relation de confiance totale.

Voilà qu’à notre tour nous sommes amenés
à donner nos vies les uns pour les autres.
Forts de cette relation avec Jésus,
forts de cette relation entre Jésus et le Père,
voilà qu’à notre tour nous devenons
des bons pasteurs les uns pour les autres.
Le livre de l’Apocalypse parle aujourd’hui
de la foule immense de toutes nations, races, peuples et langues
qui se tiennent devant l’Agneau,
qui viennent de la grande épreuve,
et qui ont lavé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau.
C’est dire qu’ils ont donné leurs vies pour leurs semblables,
par amour, unis au Christ.

Le dimanche du Bon Pasteur est ainsi
traditionnellement dans l’Église
une occasion de parler et de prier pour les vocations,
surtout sacerdotales.
Nous voyons ainsi comment ces vocations sont inscrites
dans la vocation de tout humain à donner sa vie,
dans le Christ.
Le socle humain de cette vocation, de toutes les vocations,
c’est le mariage.
En effet, où mieux que dans le mariage
entre un homme et une femme,
le don réciproque des vies pour un surcroit de vie
est-il mieux visible et lisible ?
S’il manque de prêtres, de consacrés de nos jours,
ne serait-ce pas d’abord parce qu’il manque d’époux
qui véritablement se donnent l’un à l’autre pour toujours ?
Si je n’ai pas connu le don réciproque chez mon père et ma mère
– moi qui suis issus normalement de leur amour,
comment apprendrai-je à me donner aux autres ?
Et si je ne sais même pas qui est mon père et qui est ma mère,
qui donc m’apprendra le don de moi-même !
Et en passant nous pouvons penser et prier
pour tous ceux et celles qui aujourd’hui
manifestent nombreux en France,
pour que tout enfant puisse avoir un père et une mère.

Dans son premier livre, tout récemment paru,
le pape François affirme :
« Nous sommes poussés par l’appétit insatiable de pouvoir,
le consumérisme et la fausse éternelle jeunesse
qui rejettent les plus faibles comme une matière méprisable
d’une société devenue hypocrite,
occupée à assouvir son désir de “vivre comme il nous plaît”
(comme si c’était possible)
et guidée uniquement par la satisfaction de caprices adolescents.
Le bien public et commun nous semble de peu d’importance,
pourvu que notre “ego” soit satisfait.
Nous sommes scandalisés de certaines réalités sociales
exposées par les médias…
Mais nous reprenons au plus vite notre carapace,
et rien ne saurait nous décider à assumer la conséquence politique
qui devrait être la plus haute expression de la charité.
Les plus faibles sont éliminés: les enfants et les personnes âgées.
Il m’arrive de penser que nous nous conduisons
envers les enfants et les jeunes
comme des adultes ayant renoncé.»

Le Seigneur est puissant !
Même des personnes blessées dans leurs origines
peuvent un jour apprendre par sa grâce
la joie de perdre leur vie à cause de Jésus pour la retrouver.
Mais que de blessures douloureuses et profondes évitées,
si l’humanité à sa base reste fidèle
à l’image et la ressemblance de Dieu à laquelle elle a été créée !
Que ce jeune, rencontré lors d’une promenade, se rassure.
On peut très bien donner sa vie à Dieu, et aux humains
sans cesser de vivre !
Le Père le fait pour son Fils.
Le Fils, Jésus, le fait pour nous !
À nous d’apprendre le bonheur de nous donner,
d’être bons pasteurs les uns pour les autres !

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