FMJ Mtl6e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
Lv 13, 1-2.44-46 ; Ps 101 ; 1 Co 10, 31 – 11,1 ; Mc 1, 40-45
12 février 2012
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La honte qui m’exclue

Un lépreux vint vers Jésus.
Un lépreux.
Un lépreux c’est un grand malade,
mais c’est aussi un grand exclu.
Exclu socialement.
Exclu religieusement.

À Cana comme dans toutes les noces, il n’y avait pas de lépreux.
Quand les fidèles se retrouvent à la synagogue,
il n’y a pas de lépreux.
Au temple, il n’y a pas de lépreux.
Et même en toute ville ou village, il n’y a pas de lépreux.

Nous avons entendu tout à l’heure
comment les lépreux devaient se déplacer :
les vêtements déchirés, les cheveux en désordre,
le haut du visage couvert jusqu’aux lèvres,
et en criant « impur, impur » (cf. Lv 13, 1-2. 45-46).

L’écrivain juif contemporain de Jésus, Flavius Josèphe,
raconte ce drame en ces mots :
« Moïse a banni définitivement les lépreux de la cité :
ils vivent en solitaires et sont comme morts » (AJ III, 264).

Un lépreux, d’est pour la société – religieuse – un mort.
Un mort vivant.
La maladie l’a exclu de toutes relations, sauf avec ses pairs.

*

Nous vivons en occident, et surtout au Québec,
dans une société qui a fait beaucoup
pour briser l’exclusion des malades, des handicapés
et de tous les blessés de la vie,
et c’est magnifique.
Mais le vécu des lépreux du temps de Jésus
rejoint encore tous ceux qui se sentent exclus
à cause des maladies du corps,
des maladies de l’âme
et des maladies de l’esprit.

Nous ne vivons plus selon la loi d’exclusion des lépreux promulguée par Moïse,
mais n’y a-t-il pas aujourd’hui d’autres lois
qui excluent socialement ?
La « loi » de la réussite sociale ;
la « loi » de la mode ;
la « loi » de la beauté du corps.

Combien de personnes se cachent !
D’où le succès du monde virtuel,
où je montre de moi que ce que je veux,
et même : je me fabrique un personnage, un « profil ».

La honte dévore beaucoup d’âmes.
La honte est « psychophage ».
Et l’âme se livre alors au monde virtuel
et le virtuel est lui aussi « psychophage ».

Que de solitude devant des écrans d’ordinateur …

*

L’Évangile de ce jour est une belle nouvelle
pour tant et tant de lépreux !

Que s’est-il passé ?
Quelqu’un a parlé au lépreux de Jésus…

Qui ? Qui est allé dans le taudis du lépreux leur parler de Jésus ?
Cela nous reste un mystère.

Et qui ira aujourd’hui parler de Jésus
à ceux qui sont dévorés par la honte ?
Cela dépend de nous.

Et voilà notre homme devant Jésus.
Pensez à l’intensité de ce qu’il vit.
Il a enfreint pour aller jusqu’à Jésus
toutes les lois sociales et religieuses.
Il joue gros ;
il joue sa vie.
Parce que ce qui lui a été dit de Jésus
l’a rejoint très profondément
et a libéré en lui une audace dont il est sans doute
le premier surpris.

Que dit-il à Jésus ?
« Si tu le veux, tu peux… » (Mc 1,40).
Dans l’antiquité et encore aujourd’hui, on dit :
« Si Dieu le veut »,
ou : « si les dieux le veulent ».

Lui dit : « Si TU le veux » !
Quelle audace !
Nous sommes là face au mystère de la foi des pauvres.

Il y a une foi que les riches ne connaissent pas…
Quand je dis « riche », je parle
des personnes matériellement riches ou pauvres
qui sont pleines d’eux-mêmes.

Jésus a souvent fait écho à cette foi des pauvres :
Dès la première Béatitude Jésus il proclame :
« Heureux les pauvres en esprit
car le Royaume des Cieux est à eux » (Mt 5,3).
En Luc 10,21 Jésus exulte de joie :
« Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre,
d’avoir caché cela à des sages et à des intelligents
et de l’avoir révélé à des tout-petits ».
Et aujourd’hui l’Évangile nous dit
que Jésus est remué jusqu’aux entrailles (Mc 1,41).

Car l’humanité de Jésus vibre
à tout ce qui est divin dans l’autre.

Jésus n’a alors pas d’hésitation :
Jésus tend la main et touche « l’intouchable »,
en disant : « Je le veux, sois purifié » (id.).

Jésus ne dit pas « Dieu le veut » !
Jésus confirme ainsi le lépreux et nous confirme
dans la foi en Lui comme Seigneur.

« Aussitôt la lèpre le quitta et il fut purifié » Mc 1,42).

La vie de cet homme est transformée par la guérison physique,
et le voici, aussi, rétabli socialement et religieusement.

*

Nous avons dans cet Évangile un reflet extraordinaire
du désir de Jésus de rejoindre les plus rejetés, les plus exclus.
Il y a dans cette page le souci du pasteur
qui court tous les risques pour retrouver les brebis égarées
et pour les ramener dans le troupeau.

Ce matin, Jésus voit en nous ce qui nous fait honte,
Ce qui nous fait nous sentir indignes
d’être en communion avec les autres.
Et comme pour le lépreux, il nous touche
Et guérit nos hontes au plus profonde de nous.

Le désir de Jésus est de nous rassembler.
Quand Jésus nous voit chacun figés et éloignés des autres,
il vient nous rassembler en Lui.

C’et cela le mystère de l’Eucharistie :
Jésus qui Se donne à nous
pour briser nos hontes et nous rassembler en un seul corps.

*

La suite de cette page d’Évangile est surprenante.

D’un côté Jésus envoie le lépreux guéri auprès des prêtres
en affirmant que sa déposition sera pour eux un témoignage.
Un témoignage qui les illuminera s’ils l’acceptent,
ou les confondra s’ils le refuse.
Le lépreux est ainsi le premier missionnaire de l’Évangile

D’un autre côté, Jésus lui interdit sévèrement
de raconter sa guérison à quiconque.
Ce à quoi le lépreux désobéit complètement
puisqu’il proclame partout ce que Jésus a fait pour lui.

Il y a là quelque chose de paradoxal
ou tout au moins de maladroit de la part de l’évangéliste ?
Ou bien il y a ici le reflet
de ce que vivait Jésus et que l’on avait bien du mal à comprendre.

Il y a un oui et un non
quand il s’agit de l’annonce des merveilles que Jésus réalise.

Si l’annonce de l’Évangile
est une forme de publicité agressive
qui fait de Dieu le dernier produit miracle
qui résout tous les problèmes,
c’est non !

Si l’annonce de l’Évangile a dans ses mots,
dans son expression, dans son approche de l’autre,
la forme de la croix et la joie de la résurrection,
c’est : oui !

En d’autres termes, l’évangélisation unit parole et silence.
Proclamation et retrait.

Cet aspect de l’annonce de l’évangile
nous rejoint tout particulièrement dans la vie monastique.
Quand Sœur Marie-Élisabeth dimanche prochain
fera devant l’Église, devant vous, profession perpétuelle,
elle va livrer sa vie à Jésus.
Elle répondra à l’initiative de Jésus
qui est venu la rejoindre dans sa vie.

« Seigneur Jésus, je veux renoncer à moi-même
pour ne m’attacher qu’à toi,
unique trésor et seule espérance de mon séjour sur la terre
aussi longtemps que je vivrai ».

La Profession monastique l’engagera
dans un témoignage, littéralement un « marturia ».
Une annonce de l’évangile
qui allie proclamation et silence.

Et dans la vie monastique,
c’est le silence qui est prédominant.
Silence d’une vie donnée à la prière.
Silence d’une vie retirée, parfois cachée.
Silence d’une vie qui appartient déjà à l’éternité
puisque le célibat consacré anticipe les noces éternelles.

Mais ce silence est aussi présence à l’Église,
à la ville, au monde.
C’est un silence qui proclame que Dieu est,
et que Dieu vient.
Un silence contestataire.
Un silence d’amour qui prend soin des âmes
et notamment de tous les lépreux,
de tous les honteux de notre temps.

Mais la vie monastique est aussi proclamation haut et fort,
par la liturgie,
par la vie commune,
par la présence à la ville :
proclamation de la tendresse de Dieu
qui n’en finira pas de nous surprendre
tant il veut nous rejoindre et nous rassembler.

Nous serons tous dimanche prochain
témoins de cet engagement.
Que ce soit pour chacun de nous
l’occasion de redire oui à notre vocation de témoin,
chacun selon son appel.

Le Seigneur nous a tous choisis
comme témoin du plus grand amour !

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