FMJ MtlMERCREDI DES CENDRES – A
Frère Antoine-Emmanuel
Jl 2, 12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5, 20 – 6,2 ; Mt 6, 1-6.16-18
9 mars 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

40 jours pour reprendre vie et pour donner vie

Nous avons vu dimanche le pourquoi du Carême :
Ce n’est pas un temps que l’Église nous inflige
pour nous faire payer nos faiblesses,
un temps triste, raide, pénible !
C’est un temps dont nous avons besoin
pour accéder à une nouvelle qualité de vie.

Il y a dans le Carême une profonde écologie humaine,
une grande attention à la personne humaine et à la société.

Souvenez-vous de la phrase de Benoît XVI
que nous citions dimanche dernier
dans son message pour le Carême :
« Le Carême est un temps où la communauté ecclésiale
intensifie son chemin de purification
afin de puiser avec plus d’abondance (…) la vie nouvelle
qui est dans le Christ Seigneur ».

Puiser la Vie nouvelle qui est dans le Christ
équivaut à puiser la liberté qui est dans le Christ.

Nous sommes comme des conducteurs
qui ont perdu le volant de notre voiture
et nous nous laissons mener
par beaucoup de conditionnements intérieurs et extérieurs.
Il est temps de retrouver le volant, de le reprendre,
de retrouver notre liberté intérieure.
Et cette liberté, elle se trouve dans la personne de Jésus.

Nous avons entendu le prophète Joël
qui nous disait au nom du Seigneur :
« Déchirez votre cœur et non vos vêtements » (Jl 2,13).
Déchirez les vêtements pour les israélites du temps de Joël
était un signe de deuil.
Joël nous dit que le signe extérieur ne suffit pas.
Ce deuil, il faut qu’il descende jusque dans ton cœur.
Mais de quel deuil s’agit-il ?
Ce deuil, c’est le renoncement à tout ce qui nous abîme,
à tout ce qui abîme nos relations,
à tout ce qui abîme la société.

Le message de l’Église, c’est le message du Christ :
un message de vie et de joie
mais qui ne peut pas rester à la surface.

L’Église, en faisant inlassablement écho à la Parole de Dieu
vient nous chercher très profondément.
C’est pour cela qu’elle est rejetée, conspuée.
L’Église vient chercher ce qu’il y a de plus beau,
de plus vrai en nous.
L’Église est foncièrement obstinée dans l’espérance.
Dans l’espérance pour chaque personne humaine, pour la société.

Cela fait 2000 ans qu’elle voit des hommes et des femmes
se convertir en profondeur parce qu’ils se tournent vers Dieu.
Alors elle nous parle par la voix du Pape
d’une profonde conversion de notre vie
et nous dit que le Carême
est une « période favorable pour expérimenter la grâce qui sauve ».

Pendant 40 jours, le Seigneur fait des spéciaux ?
Non !
La grâce est gratuite toute l’année !
Mais pendant 40 jours, le Seigneur fait la promotion de la grâce.
Il nous le dit par Saint Paul :
C’est aujourd’hui le temps favorable.
C’est aujourd’hui le jour du salut (2 Co 6,2).

Laissez-vous réconcilier avec Dieu. (2 Co 5,20)
Ne perdez pas cette occasion d’oxygéner votre cœur.
Il y a beaucoup de gaz à effet de serres en nous et entre nous
mais le Seigneur nous offre une atmosphère nouvelle,
un nouveau climat qui est celui de l’amour, de la communion.

Notre part à nous, ce sera de faire des exercices de respiration,
exercer notre âme à la liberté et à l’amour.
Exercer en grec se dit : ascesis.

Alors nous nous mettons à l’écoute de Jésus qui, dans l’Évangile,
nous a rappelé les trois grands chemins
de l’ascèse du retour vers Dieu.

*

Ces chemins ne sont pas spécifiques au christianisme.
Nous retrouvons ces mêmes chemins
dans le judaïsme et l’islamisme.
Ils sont le jeûne, l’aumône et la prière.

Pour muscler notre liberté intérieure,
nous avons besoin de ces trois dimensions.

Pourquoi jeûner ?
Pourquoi nous priver au niveau de la nourriture, des breuvages,
de consommation de toutes sortes,
de TV, de textos, d’internet ?
Benoît XVI donne une réponse limpide :
« Nous apprenons à détourner notre regard de notre ‘moi’
pour découvrir Quelqu’un à côté de nous ».

Le vrai jeûne n’est pas une recherche de soi,
une recherche de perfection,
il est fait pour nous décentrer de nous-mêmes.
Le jeûne n’est pas quelque chose d’intimiste
mais il nous ouvre à Dieu et à la détresse des autres.
Oui, je me prive d’une partie du nécessaire.
Oui, je vais ressentir la faim,
mais je le fais pour devenir libre de toutes les compulsions
qui sont toujours centrées sur mes besoins.

L’une d’entre vous me témoignait récemment
que le Carême dernier elle a été libérée des achats compulsifs
qui la tenaillaient depuis longtemps.
Voilà une libération qui permet d’être attentifs aux autres
et bien concrètement de faire des économies
pour partager notre revenu avec des personnes qui en ont besoin.

L’important dans le jeûne c’est de le décider,
soi-même, franchement, paisiblement.
C’est d’éviter les excès de jeûne où se cache l’auto-complaisance
et de le vivre avec Dieu dans une dynamique d’alliance, de joie…
et de se parfumer la tête !
En n’oubliant jamais qu’en jeûnant, nous contribuons
à libérer la société de ses addictions, de ses compulsions,
de sa consommation et, dès lors,
des égoïsmes qui abîment la grande famille humaine.

*

Le deuxième appel c’est le partage, l’aumône.
Le partage de nos biens, le partage de notre temps.

Nous savons bien que l’attachement à des biens matériels
engendre la tristesse et la violence.
L’attachement au pouvoir aussi.
Regardez la Lybie !
Benoît XVI va jusqu’à dire que « l’idolâtrie des biens
non seulement nous sépare des autres,
mais vide la personne humaine en la laissant malheureuse,
en lui mentant, en la trompant sans réaliser ce qu’elle lui promet ».

En s’attachant à des biens, à des choses, à nos projets,
à du pouvoir, nous devenons « vides ».
Nos biens et nos projets nous mangent.
Le stress nous mange… ou nous dévore.

Le Carême est là un véritable défi d’écologie humaine.
Nous voulons retrouver la vie qui nous échappe.
Comment ? En partageant ce que nous avons,
en devenant libres de nos projets, de nos ambitions.

La grande liberté de Dieu, c’est celle de choisir la pauvreté ;
pas la misère mais le don.
Et Jésus vient nous entraîner dans cette liberté.
Jésus est notre coach pour cette aventure-là,
pour cette libération qui passe, par exemple,
par un chèque pour Développement et Paix,
par du temps qui je donne pour une personne seule,
par le renoncement à un projet qui est superficiel
pour être plus proche des enfants ou des parents âgés.

Pendant ce Carême, nous allons goûter la grâce qui nous habite,
la grâce de Dieu, la grâce du Baptême,
la grâce qui est cette capacité de partage,
de communion qui est en nous.
Et là encore nous allons servir
la libération de notre peuple, de notre ville
et c’est bien cela notre responsabilité de chrétiennes et de chrétiens.

*

Et cela nous mène tout droit au troisième appel :
l’appel à la prière.

Benoît XVI nous propose deux axes pour la prière en Carême.
Le premier c’est de nourrir notre vie de prière,
de la Parole de Dieu, surtout des Évangiles – magnifiques –
des dimanches de Carême.
« En méditant et en intériorisant la Parole pour l’incarner
au quotidien, nous découvrons une forme de prière
qui est précieuse et irremplaçable. »

Il se passe quelque chose de très simple :
nourrie par la Parole, la prière n’est plus un monologue ;
elle est l’écoute de la Parole et la réponse de notre cœur.
Elle devient un dialogue
et un dialogue vivant, joyeux, où se tisse une familiarité avec Dieu.
La familiarité géniale des baptisés avec Dieu !

L’autre aspect que souligne le pape est très contemporain :
« La prière nous permet d’entrer
dans une autre perception du temps ».

S’il n’y a pas à l’horizon de notre vie quotidienne
la perspective de l’éternité et de la transcendance,
alors les minutes qui défilent sur notre montre
ou sur notre téléphone
sont comme une cadence qui rythme nos pas
mais sans qu’il y ait d’avenir,
seulement dans le non sens qui frappe sans cesse à la porte.

La prière change cela : nous nous reconnectons à l’éternité.
La prière, c’est une bouffée d’éternité qui ouvre le temps,
qui lui donne un horizon de vie et de Salut.

Et cela aussi c’est notre contribution à la libération de notre peuple.
Nous sommes des résistants contre l’occupant
et l’occupant aujourd’hui c’est le stress,
c’est le règne de l’immédiat, du plaisir passager.
c’est la platitude de la vie sans Dieu.

*

Nous avons devant nous 40 jours pour redécouvrir
et pour partager cette grande liberté
qu’est la grâce de notre baptême.
40 jours pour reprendre vie et pour donner vie.
Nous nous engageons ensemble dans un combat spirituel
qui n’est pas seulement contre notre péché,
mais contre les structures de péché
qui étouffent la vie de millions d’hommes et de femmes.

C’est pour ce beau défi
que nous commençons par recevoir les cendres
Les recevoir, c’est reconnaître
que nous ne vivons pas encore à plein
la liberté et la joie de notre baptême.

C’est pour ce défi que nous célébrons l’Eucharistie
afin d’être remplis de la force et de la vie de Jésus.

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