FMJ MtlSamedi, 1ère Semaine de Carême – C
Frère Antoine-Emmanuel
Dt 26, 16-19 ; Ps 118 ; Mt 5, 43-48
27 février 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Aimer nos ennemis ?

Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs (Mt 5, 44).

Frères et sœurs, cet appel à l’amour des ennemis
est tout à la fois une bonne nouvelle,
une promesse et un commandement.

*

Il est tout d’abord une bonne nouvelle.
Si Dieu lui-même, en son Fils qui est sa Parole,
nous commande d’aimer nos ennemis,
c’est donc que nous en sommes capables !

Voilà qui met fin à tous les discours
négatifs et détracteurs de l’homme.
L’homme n’est pas irréversiblement condamné à l’inimitié,
à la haine et à la jalousie.
Par la grâce du Christ, reconnue ou non,
l’homme est capable d’aimer jusqu’à ses ennemis.
Il n’est pas de situation où la grâce du Christ
soit incapable de renverser
les murs de discorde, d’indifférence et de mépris.

Le cœur de l’homme greffé au Christ
est assez vaste pour aimer son prochain,
ses ennemis et jusqu’à toute la création.
Il est suffisamment large pour prier pour le monde,
pour verser des larmes pour le monde entier.

L’homme est même capable de mourir
en priant pour ses persécuteurs à l’exemple d’Étienne.

Et nous-mêmes, nous sommes capables avec la grâce du Christ
d’aimer enfin telle personne
qui a introduit la discorde dans ma famille,
celle qui a brisé ma vie professionnelle,
ou celui qui a blessé ma vie affective,
celle qui trouble ma sérénité,
ou celui qui met à nu mes faiblesses.

La montée vers l’amour
n’est pas une sorte de mythe de Sysiphe
où l’homme ne parvient jamais au sommet
tant son péché lui pèse.
Non, du haut de la Croix,
le Christ nous attire au sommet de l’amour.

*

L’amour des ennemis est bien
une révélation sur le cœur de l’homme.
Il est aussi la promesse d’une grâce de Dieu.
L’amour des ennemis est l’œuvre de Dieu en nous.
« Celui qui n’a pas encore cet amour,
écrit Silouane, n’a pas encore connu Dieu » (p. 101)
L’amour des ennemis, précise ce même staretz,
est « le reflet dans le monde
du parfait amour du Dieu Trinité » (p. 224).
C’est cet amour qui authentifie la vraie foi,
l’espérance authentique et la charité parfaite :
il est cette force venue d’en-haut promise par Jésus.
Il est le Royaume de Dieu en nous venu avec puissance.

Le miracle de l’amour jaillit
d’un cœur blessé par l’amour de Dieu,
d’un cœur habité par la prière.
« Si nous aimons nos ennemis, écrit Silouane,
l’orgueil n’aura plus de place dans notre âme
car l’amour du Christ ne cherche pas à dominer ».

Notre route de Carême est bien cette route d’humilité
où nous voulons accueillir la grâce de cet amour sans limite.
Elle est cette route que l’Église nous donne à parcourir
car elle sait l’homme capable d’accueillir le don de Dieu.
L’Église espère en l’homme car elle espère en Dieu !
Le jeûne et la prière sont là pour éveiller nos cœurs à l’amour
en les libérant de toutes servitudes.
Oui, l’amour de Dieu peut changer le cours du temps.
Il peut changer l’homme en enfant
et le soir en aurore (d’après P. Eluard).
Bonne Nouvelle et grâce divine,
l’appel de l’amour des ennemis
est aussi une exigence pour chacun de nous.
L’amour des ennemis n’est pas le privilège
de quelques grands héros de l’amour
tels Étienne, François ou plus proche de nous
Gandhi ou Martin Luther King.
Il nous concerne tous.

Il n’est pas non plus un vague sentiment
de philanthropie généralisée
mais bien un acte de ma volonté
qui engage ma personne et mon histoire.
L’amour des ennemis exige un dépassement de soi
un affranchissement de soi et de l’esprit du monde
pour prendre – enfin – le risque de l’amour.
Aimer, c’est sans cesse dépasser le non-amour !
Aimer c’est abandonner mes protections et mes défenses
et consentir à ma vulnérabilité.

Aimer c’est encore devenir libre à l’égard de mon entourage :
mieux vaut passer pour un fou aux yeux du monde
que de laisser la sagesse du monde rendre stérile ma vie !

Mais aimer exige d’abord de garder les yeux fixés
sur la Croix du Christ pour que l’amour ne soit pas défiguré
en un capitalisme de la bienfaisance,
mais demeure sous le signe de la pauvreté, de l’attente et du don.

Garder les yeux fixés sur la Croix,
c’est aussi dépasser la peur qui nous empêche d’aimer :
si j’aime mon ennemi, ne va-t-il pas m’écraser,
ne vais-je pas laisser triompher le mal ?
Si j’agis envers mon ennemi selon le commandement du Christ,
est-ce que cela ne va pas profiter à cet ennemi ?
Or, oui, il faut que j’accepte que cela va lui profiter,
que cela va lui être bénédiction !
Seule la Croix glorieuse du Christ
nous rend capable de dépasser cette peur.
Seule elle nous enseigne que la faiblesse aux yeux des hommes
peut être la victoire de l’amour.
Aimer ce n’est pas céder au mal.
C’est vaincre le mal par le bien.
C’est briser le terrible enchaînement du mal qui engendre le mal.

Non, frères et sœurs, ne craignons pas de nous jeter dans le feu
que le Seigneur est venu apporter sur la terre :
C’est un feu qui ne consume pas l’amour.
Notre plus petit acte d’amour envers un ennemi
est une victoire impérissable sur le mal.
« Dès que quelqu’un t’a blessé, conseille Silouane,
prie Dieu pour lui et tu garderas la paix et la grâce divine » (p. 295).

*

Frères et sœurs nous sommes en route ensemble
sur la route de l’amour.
Cette route est éprouvante
mais le Seigneur a dressé devant nous
la table de l’Amour pour refaire nos forces.
Qu’il en soit béni !

© FMJ – Tous droits réservés.

[1] Citations de Silouane tirées de Arch. Sophrony. Vie-doctrine-écrits du Staretz Silouane. Éd. Présence. 1973.