FMJ Mtl3e DIMANCHE DE CARÊME – A
Frère Antoine-Emmanuel
Ex 17, 3-7 ; Ps 94 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42
27 mars 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La femme aux cheveux mauve

Dans le village de Sychar,
quelque chose d’inhabituel vient de se passer.
Douze juifs qui magasinent en pleine Samarie ! Un évènement !

Et ils sont revenus avec leurs achats :
ils ont rapporté de la nourriture.
Mais ils n’ont ramené personne à Jésus ;
ils n’ont pas tissé là-bas de relations qui transforment.

Ce que Jésus, lui, a vécu, au même moment,
est complètement différent.
Jésus est resté au puits.

Or voici une femme.
Une femme au puits à midi est chose étrange !
Elle vient à cette heure parce qu’elle a honte disent certains,
ou simplement n’est-ce pas symptomatique
de sa vie déstructurée de femme « paumée ».

Cette rencontre en termes modernes pourrait se traduire ainsi :
chez un dépanneur à 4h du matin,
une femme aux cheveux mauves,
un piercing sur la lèvre supérieure,
et quelque chose d’épuisé dans le regard.

Mais ce lieu de rencontre dans notre évangile
est beaucoup plus que le dépanneur du coin.
Le puits dans la culture biblique est un lieu de rencontre
où se tisse le lien social, où se forment des couples.
Le serviteur d’Isaac, Jacob et Moïse ont rencontré
leur épouse ou celle de leur maître au puits.
En termes modernes ont dirait qu’ils se sont rencontrés
dans un bar, sur Facebook ou sur un blogue …

Jésus n’a pas peur de cette rencontre.
Or, il y avait un mur entre les juifs et les samaritains,
une incapacité d’entrer en relation
et une haine réciproque vieille de quatre siècles et même plus,
comme tant de vieilles haines tribales, linguistiques ou religieuses.

Jésus fait le mur – ou plutôt brise le mur – le traverse
et entre en relation avec un profil de pauvre :
« Donne-moi à boire » (Jn 4,7)).
C’était sans doute le seul moyen d’entrer en relation vraie
avec cette femme magannée par sa blessure affective :
et par l’incapacité de 6 hommes successifs à la rendre heureuse.

Jésus va tisser une relation avec cette femme.
Il brise son isolement intérieur
d’abord en lui montrant qu’elle est connue de lui :
Moi, Jésus, je te connais – dans toute ton histoire –
y compris dans ton histoire obscure
que tu ne raconteras jamais sur Facebook
sauf pour attirer de l’apitoiement.
La femme se découvre connue,
connue sans être méprisée ou rejetée.
Et c’est du tout neuf pour elle.

Comment Jésus s’y prend-t-il ensuite pour tisser cette relation ?
En lui montrant que la vie n’est pas seulement
ce qui se voit, ce qui se sent.
Il y a une profondeur dans la vie, dans la religion,
une profondeur en toi que tu ignores.

La vie n’est pas seulement une suite d’affaires amoureuses
qui se terminent mal.
Il y a une relation qui de l’intérieur change la couleur de ta vie :
une relation avec Jésus, le septième Époux, le vrai,
le seul qui réponde au vide que tu éprouves.

La religion n’est pas seulement de la ritualité et de la rigidité.
Il y a une relation possible avec Dieu
où tu es en paix avec Dieu (cf. Rm 5,1),
où tu découvres Dieu comme Père
et où tu L’adores intérieurement, spirituellement,
et d’une manière authentique, avec ta vie.

Et au cœur de la religion,
l’espérance d’un Messie, d’un sauveur n’est pas du mythe.
Espérer n’est pas se raconter des histoires,
par ce que le Sauveur, il est là devant toi,
bien vivant, accessible, beau et brûlant d’Amour.
Et toi-même tu es capable d’une vie intérieure extraordinaire.
Ce que tu cherches à l’extérieur comme une folle,
tu vas le trouver à l’intérieur de toi.

*

Tout cela va chercher cette femme très profondément
au point qu’elle laisse sa cruche.
Et elle qui se cachait de la foule
court au village pour parler de Jésus à tout le monde.

Et ce que les apôtres n’ont pas fait, elle le fait.
Elle amène à Jésus une horde de samaritains
qui se sont laissé interpeller par son témoignage.

La femme aux cheveux mauves et au piercing
est devenue un apôtre de feu.

Au village, elle n’a pas rapporté d’eau du puits
parce qu’elle avait laissé sa cruche.
Mais elle a apporté une autre eau.
Il s’est passé en elle une transformation intérieure :
elle porte la source en elle.
Et elle déborde.

C’est ce que Jésus lui avait dit – et nous dit :
« Celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai
n’aura plus jamais soif.
Et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui
source jaillissante pour la vie éternelle » (Jn 4, 13-14).
En d’autres termes Jésus lui dit – et nous dit :
Moi Jésus, j’ai en Moi une source.
Si tu y bois, tu auras en toi une source toi aussi !

La rencontre avec Jésus non seulement
apaise la soif intérieure que nous avons
mais aussi fait que nous portons une source en nous-mêmes !

Je me souviens d’un jeune alcoolique de 20 ans
à qui je demandais pourquoi il buvait
et qui me répondit : parce que j’ai un vide en moi.
La rencontre avec Jésus l’a transformé.
Il ne cherche plus à remplir son vide avec l’alcool.
C’est Jésus qu’il cherche.
C’est magnifique !
Et le don de Jésus, c’est de devenir nous-mêmes une source
comme la femme qui ramène à Jésus
tout son village, tous ses contacts.

*

La conversion du Carême est toute entière là !
C’est la libération de la source.

Le péché pour nous chrétiens, baptisés,
c’est de ne pas laisser jaillir la source qui est en nous.

Le manque de foi fait que nous sommes secs en nous
et desséchants pour les autres.

Frères et soeurs,
il y a des femmes aux cheveux mauves avec un piercing
qui sont seules avec leurs malheurs et qui nous attendent,
qui attendent que nous leur disions que Jésus est vivant,
qu’il les connaît et veut devenir source en elles.
Des femmes et des hommes.

Qu’est-ce que l’on va chercher dans les bars ?
Qu’est qu’on va chercher
dans les clubs hétérosexuels ou homosexuels ?
Des relations, des rencontres, en un mot : la communion.
Mais dans tous ces lieux, on ne trouve que du fast food relationnel
qui laisse insatisfait.
C’est comme aller chercher du caviar chez Mac Donald !
On n’en trouvera jamais.

En Jésus, et en Lui seul, se trouve le « banquet » de la communion.
C’est avec Lui, en Lui que les murs tombent,
que nous devenons capables de relations belles et profondes.
C’est en Lui que nous devenons source !

Or nous ne sommes pleinement nous-mêmes
que si nous devenons source,
que si nous laissons Jésus déborder en nous.

*

Frères et sœurs, quelle sera la priorité du Carême ?
Elle sera de boire à la source qu’est Jésus
et de recevoir de Lui de devenir source.
C’est à cela que mènent le jeûne, la prière et l’aumône.
Le jeûne, par exemple,
ce sera de renoncer à tous les fast food relationnels
pour découvrir le vrai banquet de la communion,
c’est-à-dire renoncer à chercher la communion
là où elle ne se trouve pas
pour la chercher où elle se trouve : en Jésus.

Si quelqu’un a soif
[soif de relation, soif de communion]
qu’il vienne à moi et qu’il boive.
De son sein [de son cœur, de son intériorité]
jailliront des fleuves d’eaux vives !

© FMJ – Tous droits réservés.