FMJ MtlVendredi, 8e Semaine du temps ordinaire – C
Frère Antoine-Emmanuel
1 P 4, 7-13 ; Ps 95 ; Mc 11, 11-25
28 mai 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Le figuier maudit

Depuis quelques années,
le panorama de la vieille ville de Jérusalem a changé :
s’y est ajoutée la grande coupole blanche
de la nouvelle synagogue qui a été inaugurée à la mi-avril.
Elle s’appela la « Hurva », la « ruine »
parce que par deux fois elle a été détruite.
Sa reconstruction, toute récente, est lue par certains juifs
comme le signe annonciateur d’une autre reconstruction :
celle du temple ;
le « troisième temple » après celui de Salomon
et celui du retour d’exil transformé par Hérode.
Toute une mouvance du judaïsme attend cela
au point que les objets rituels nécessaires au culte
sont déjà fabriqués.

Mais le Seigneur veut-il un nouveau temple à Jérusalem ?
En nous chrétiens, irions-nous prier dans ce temple ?
Pierre et Jean n’allaient-ils pas prier dans le temple
y compris après la Pentecôte ?

Que nous dit à ce propos l’Évangile d’aujourd’hui ?

*

Nous sommes dans les derniers jours du ministère de Jésus.
Depuis trois ans Jésus enseigne, exhorte, annonce le Royaume
et accomplit signe sur signe.

Trois ans de ministère.
Mais trois ans où le refus, le rejet de la part des autorités
n’a cessé de croître.
« Celui-ci est l’héritier, tuons-le,
pour que l’héritage soit à nous » (Lc 20,14).
Voilà ce qui habite le cœur des scribes, des pharisiens,
des prêtres, ou, au moins, d’une grande part d’entre eux.
Et jetant Jésus hors de la vigne,
hors de la ville, hors du peuple, hors de la bénédiction,
ils le tuèrent. (cf. Lc 20,15)

Frères et sœurs,
quel peut être le sort d’Israël après une telle mise à mort ?
« Que leur fera donc le maître de la vigne ? »

« Il viendra, fera périr ces vignerons
et donnera la vigne à d’autres » (Lc 20,15b-16) :
Ainsi répond Jésus dans l’évangile de Luc.

Matthieu est plus nuancé :
il met ce jugement dans la bouche des auditeurs de Jésus,
et non de Jésus lui-même.

La différence entre ces deux textes
nous fait pressentir le mystère du destin d’Israël
après la Pâques de Jésus.
« Dieu aurait-il rejeté Israël ? »

« Certes non » répond Paul, (Rm 11,1)
Paul parlera cependant certes non de « rejet »,
mais bien de « mise à l’écart »
en vue, un jour de leur « admission »…

Retenons bien cela : Dieu n’a pas maudit Israël
comme le disent malheureusement certains
en interprétant la malédiction du figuier
dans l’Évangile d’aujourd’hui.

*

Cet Évangile nous parle d’un figuier qui ne porte pas de fruit.
Nous trouvons ce récit chez Matthieu et Marc.
Luc parle également d’un figuier stérile,
mais sous forme d’une parabole.

Commençons par Luc.
Dans son évangile,
il s’agit d’un figuier qui depuis trois ans ne porte pas de fruit ;
trois ans… comme les trois ans du ministère de Jésus.
Or, le vigneron suggère au maître de ne pas couper ce figuier :
lui-même creusera autour,
et mettra du fumier
dans l’espoir qu’il donne du fruit à l’avenir (cf. Lc 13,6-9).
Creuser, mettre du fumier, travailler sans répit,
voilà qui évoque la passion du vigneron Jésus
pour le salut d’Israël.
Le jugement n’est donc pas la malédiction d’Israël,
mails l’amour inlassable, insondable du Christ
qui veut conduire Israël à la plénitude de sa foi.

Les récits de Matthieu et Marc parlent en revanche
de la malédiction d’un figuier situé près de Béthanie
sur les collines proches de Jérusalem.

En condamnant ce figuier à la stérilité, que fait Jésus ?
Jésus donne un signe, un signe fort :
cet arbre ne donne pas du fruit toute l’année.
Il ne correspond pas
à ce qu’Ézéchiel avait prophétisé (cf. Éz 47, 12) :
Ézéchiel parlait des arbres qui pousseront
de part et d’autre du fleuve jailli du Temple nouveau
et ne cesseront jamais de donner du fruit.

La malédiction ne porte pas sur le peuple d’Israël,
elle est en revanche liée au temple.

De fait, le moment de la malédiction du figuier
et le moment où les disciples, le lendemain,
voient le figuier effectivement desséché jusqu’aux racines
encadrent justement le signe du temple
purifié du commerce par Jésus.

Qu’est-ce qui est condamné à la stérilité ?
L’ancien culte fait de sacrifices
et le temple comme lieu unique de la rencontre de Dieu.
Cela ne portera plus de fruit.
Il s’agit là de prescriptions antérieures désormais « abrogées »
comme le dit la lettre aux Hébreux (Hb 7, 18)
en raison de leur faiblesse et de leur inutilité.

Depuis la Pâques de Jésus,
offrir à Dieu quelque chose d’extérieur à nous-mêmes
pour mériter le salut
n’a plus ni utilité, ni sens, ni fécondité.
C’est absolument stérile,
comme un figuier desséché jusqu’aux racines.
Depuis la Pâques de Jésus
le fait de se rendre dans un lieu ou un édifice sacré
parce que la rencontre de Dieu et le salut
seraient exclusivement attachés à ce lieu
n’a plus ni utilité, ni sens, ni fécondité.

Le temple, le véritable temple,
il y en a désormais un seul et pour tous les peuples :
C’est le Corps du Christ.
Le sacrifice, l’unique sacrifice
est celui du Christ en son corps.

*

Voilà, frères et sœurs, qui répond à notre première question :
Non, cela n’a pas de sens de construire un nouveau temple ;
ce ne peut être qu’une voie sans issue
qui conduira à de grandes douleurs pour l’humanité.

Aussi cet Évangile nous appelle aujourd’hui à prier pour Israël,
à demander à l’Esprit de Sagesse de guider nos frères aînés
pour les détourner de cette voie sans issue
et les acheminer vers le vrai Temple
qui est le juif Jésus, notre Seigneur, mort et ressuscité.

Cet évangile nous invite aussi à prier
pour les chrétiens démesurément attachés
à leurs édifices religieux, à leurs églises;
à prier pour les chrétiens qui restent encore
sous le régime de la loi et des mérites.

Il nous interpelle aussi, nous qui sommes ici ce soir,
à entrer dans le vrai Temple,
à ne pas rester au seuil du temple
dans le parvis des tièdes.

Entrer dans le Temple, c’est entrer dans le Christ :
On y entre non plus par des escaliers,
mais par la foi.
Une foi qui n’hésite pas, qui ne balance pas
comme dit l’Évangile d’aujourd’hui.

Entrer dans le temple
et participer non pas aux sacrifices – au pluriel –
mais au Sacrifice de Jésus
en offrant notre vie au quotidien
dans le don de nous-mêmes, dans le service.
Comme le dit aujourd’hui l’apôtre Pierre :
« Ayez entre vous une charité intense
car la charité couvre la multitude des péchés » (1 Pi 4,8).
Le figuier des sacrifices de l’ancien culte est stérile.
Mais l’arbre de la croix – de nos croix –
porte et portera du fruit
à toutes les saisons de la vie et de l’éternité.

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