FMJ Mtl5e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
Jb 7, 1-4.6-7 ; Ps 146 ; 1 Co 9, 16-19.22-23 ; Mc 1, 29-39
8 février 2015
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

Mai, Linda et tant de captifs

La liturgie de ce dimanche nous fait entendre le cri de Job.
Job… le porte-parole de l’humanité.
Job qui crie que la vie sur terre est une corvée.
Il y a tant et tant d’hommes et de femmes
qui vivent comme des esclaves
qui soupirent après un peu d’ombre,
comme des manœuvres qui attendent leur paye qui ne vient pas,
sans parler des nuits qui ne sont que cauchemars.
« Rappelle-toi, dit Job au Seigneur, ma vie n’est qu’un souffle,
et mon œil ne reverra plus le bonheur » (Jb 7,7).

Nous entendons ce cri le 8 février qui est désormais
« La journée internationale de prière et de réflexion
contre la traite des humains. »
Jour où nous reprenons conscience
qu’aujourd’hui des millions de personnes
sont réduites en esclavage dans le monde,
prises dans un trafic qui rapporte des millions de dollars.
C’est une des activités les plus lucratives
de la criminalité internationale
avec le trafic de drogues et le trafic d’armes.
Mgr Durocher, président des évêques du Canada,
dans une lettre bouleversante à l’occasion de cette journée,
dit que tout cela, c’est aussi « dans notre cour ».

Job, aujourd’hui, c’est Mai.
Mai est venue de l’Indonésie travailler
pour une famille canadienne d’origine indonésienne
dans une ville de l’Ontario.
Elle a un permis de visiteur et un contrat stipulant
qu’elle doit travailler pour la famille pendant deux ans
et qu’elle touchera ses gages à la fin des deux années.
Ses employeurs lui prennent son passeport en lui promettan
t de voir à toutes les formalités pour l’immigration.
Mai travaille sept jours par semaine (habituellement de 5h à 23h)
et dort sur le plancher de la cuisine.
À la fin des deux années, elle n’est pas payée.
Quand elle se plaint à la famille, on l’ignore
et on lui dit que si elle fait appel à la police,
elle sera arrêtée parce qu’elle n’a pas les papiers nécessaires.

Job aujourd’hui, c’est Linda.
Linda, 15 ans, vit avec sa mère
dans un complexe de logements sociaux.
Elle tombe amoureuse d’un garçon de Toronto
qui rôde autour du complexe :
il l’invite au cinéma et au restaurant,
lui achète des vêtements et des bijoux.
Puis, il suggère à Linda de rentrer à Toronto avec lui
et elle accepte.
Il commence alors à la blâmer pour leurs problèmes financiers,
lui met sous le nez tout l’argent qu’il a dépensé pour elle.
Il la pousse à aller travailler comme danseuse nue
et lui recommande d’inviter des hommes
dans les salons VIP pour faire plus d’argent.
Il exige aussi qu’elle lui remette tout ce qu’elle gagne.
Elle apprend finalement
que Phil gère également d’autres jeunes femmes.
Quand elle proteste, il la frappe.
Il commence à contrôler ses déplacements ;
elle doit rester où il peut l’apercevoir autrement elle sera battue.

Notre humanité est malade.
Mai et Linda sont esclaves parce que des hommes, des femmes
sont esclaves de l’argent, du loisir sexuel et du pouvoir.

La vraie guérison de l’humanité,
c’est la guérison qui atteint les racines mêmes de ces esclavages.
Jean Chrysostome enseigne qu’il est vain
de purifier l’eau des rivières
si la source elle-même est polluée.

Qu’est-ce qui peut guérir la profondeur ?
La loi, les règlements, ne le peuvent pas.
La maladie du cœur de l’homme est telle
que la loi stimule la désobéissance !

De plus, en Occident aujourd’hui,
la loi n’est plus une référence fiable pour le bien moral.
La loi est en train de devenir simplement
l’écho de l’opinion commune.
C’est ce qui s’est passé cette semaine
avec le jugement de la Cour Suprême sur la cause Carter
qui traitait d’une femme atteinte d’une maladie dégénérative
et demandait une assistance pour se suicider.
La Cour a donné gain de cause à cette femme,
dépénalisant ainsi de fait l’euthanasie au Canada.

Et cela ouvre une nouvelle brèche à l’influence
de ceux qui, pour toutes sortes d’intérêts ou de peurs,
feront pression pour que de grands malades mettent fin à leur vie.

Voilà la fièvre de l’humanité.
Le cri de Job devient plus aigu.
Et c’est ce cri que Jésus entend.
Aujourd’hui, nous contemplons Jésus
qui entend l’appel de Pierre et de ses compagnons,
qui se fait proche, qui touche la malade.
Et celle-ci se « réveille » nous dit Marc,
se « relève » nous dit Luc.
La fièvre la quitte et elle se met au service des autres.

Cette guérison le jour du sabbat est un signe.
Elle nous dit la puissance qu’a Jésus de restaurer l’humanité.
Jésus es « sorti » pour guérir le plus profond du cœur de l’homme,
notre cœur malade des blessures
venant de toutes sortes d’injustices,
blessures infectées parce que le démon s’y agrippe.
Et parce que le démon s’y agrippe,
non seulement la blessure ne guérit pas,
mais l’infection du cœur se répand dans les décisions,
les comportements, les choix de vie.

Il n’y a que l’amour de Jésus
qui puisse guérir à cette profondeur.
La psychothérapie peut révéler les blessures, peut dégager la plaie,
mais seul Jésus atteint les profondeurs spirituelles de l’être humain.

La scène de l’Évangile au soir du sabbat
nous montre Jésus guérissant toutes sortes de maladies
et guérissant les âmes, c’est-à-dire libérant les âmes
des esprits mauvais qui s’y agrippent.
C’est la manifestation du Royaume de Dieu.
Désormais, ce n’est plus la corruption qui règne,
c’est l’Amour de Dieu, qui,
dans la personne de Jésus, règne ici-bas.
Parce que Jésus en Sa mort glorieuse
prend sur Lui toute la corruption de l’humanité.
Voilà ce que Paul a découvert.
Son cœur était atteint de la corruption de la violence religieuse
et la rencontre de Jésus a non seulement désarmé cette violence,
mais l’a retournée en passion pour l’Évangile.
« Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile » (1 Co 9,16) !
Malheur à moi si ma vie ne proclame pas la Bonne Nouvelle !

Pour Paul, s’investir dans l’annonce de l’Évangile,
ce n’est pas être généreux, c’est être juste.
Impossible d’en tirer fierté !
Ce n’est que la juste réponse à l’amour du Seigneur,
comme une obligation intérieure !
Comment pourrai-je taire l’Évangile ?
Comment pourrai-je laisser les Mai, les Linda et leurs tyrans
croupir dans la corruption
alors que Jésus apporte gratuitement le Salut ?

« Oui, libre à l’égard de tous,
je me suis fait l’esclave de tous
pour en gagner le plus grand nombre » (v. 19)
Le seul « maître » juste, c’est Jésus.
Le seul à qui nous pouvons remettre notre vie, c’est Jésus.
Le seul à qui nous pouvons donner l’obéissance de notre cœur, c’est Jésus.
Et qu’est-ce que Jésus fait de notre liberté
quand nous la Lui remettons ?
Il la déploie, Il l’élargie, Il la multiplie.
Voilà le désir de Jésus :
faire de chacun de nous des personnes libres de Sa liberté !
C’est cela que nous venons puiser humblement
en chaque Eucharistie.

Seigneur Jésus, voyant la fièvre de l’humanité
malade de tant de corruption,
Tu es « sorti » du sein du Père
et Tu ne cesses de « sortir » vers nous pour nous libérer.
Souviens-Toi de Mai, de Linda,
de toutes les victimes de la traite de personnes humaines.
Souviens-Toi de ceux qui s’enrichissent dans ce commerce.
Que notre vie serve la libération de tous les captifs.
Tu es notre liberté.
Nous t’adorons.
En toi est toute notre confiance.
Amen.

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