FMJ Mtl13e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
Sg 1, 13…2, 24 ; Ps 29 ; 2 Co 8, 7.9.13-15 ; Mc 5, 21-43
28 juin 2015
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

Ne crains pas, crois seulement

L’Évangile nous parle d’une femme
qui souffre d’un écoulement continu de sang.
C’est difficile pour un homme de se représenter
ce que cela signifie : la douleur, l’humiliation…
Marc emploie le mot « mastigos » qui signifie un fouet.
Un fléau continuel dans le corps de cette femme.
Nous savons bien que toutes les souffrances
liées à la sexualité, à la génitalité
sont des sources de souffrance particulièrement vives
car elles touchent à notre intimité
à notre identité profonde
à notre capacité de donner vie.

Pour cette femme s’ajoute l’humiliation
de recourir à de nombreux médecins incapables de la soigner.
Et elle y a dépensé toutes ses économies.
S’ajoute aussi une dimension religieuse :
la loi affirme que cette femme est impure.
Et Lévitique 15,25 dit :
son impureté dure aussi longtemps que dure l’écoulement.
Cela ne signifie pas qu’elle est dans le péché,
mais implique qu’elle ne peut toucher personne
et ne peut être touchée par personne :
quiconque la touche est impur jusqu’au soir (Lv 15,19).
Aucune relation sexuelle,
mais d’abord aucun toucher au quotidien,
et tout objet sur lequel elle s’assoit ou se couche est impur.
« Vous demanderez aux fils d’Israël de se tenir à l’écart
quand ils sont en état d’impureté » (Lv 15,31).

La maladie la coupe des autres.
Vous voyez le drame que vit cette femme depuis 12 ans.
Un drame caché, intime,
mais qui a des répercussions relationnelles terribles pour elle.

Or cette femme a entendu parler de Jésus (cf. Mc 5,27).
Elle a certainement entendu un témoignage de guérison.
Elle a appris que ce rabbi
exerce un ministère de guérison tout à fait extraordinaire.

Mais elle est face à un dilemme terrible,
semblable à celui des lépreux.
Elle est impure, perpétuellement impure.
Elle n’a pas le droit de toucher Jésus…
Et comment pourrait-elle le rejoindre
au milieu d’une foule dense et compacte
où elle risque de toucher et d’être touchée ?

Mais quelque chose en elle lui dit qu’elle peut y aller.
Elle ne touchera pas Jésus,
mais elle touchera ses « tzitzits »,
les franges de son vêtement,
symbole de l’obéissance à la loi,
que Jésus porte comme tout juif pieux.

Elle touchera son vêtement par derrière, dans la foule,
sans que personne ne le sache
et elle s’en ira tout de suite
parce que même guérie, elle sera impure encore 7 jours
et devra faire le rite d’absolution
auprès d’un prêtre (cf. Lv 15, 28-30).

C’est fou… mais elle est sûre, absolument sûre,
qu’il lui suffira de toucher
la frange du vêtement de Jésus pour être guérie.
Il n’est pas nécessaire que Jésus la voie,
lui parle, lui impose les mains.
Elle « croit ».

Il y a en elle cette conviction intérieure, cette confiance inouïe
qui va bien au-delà du raisonnement ou de l’expérience et
qui lui donne une audace incroyable.

Je le toucherai et je disparaîtrai…

Et c’est ce qu’elle fait.
Et au moment même où elle touche les « tzitzits » de Jésus,
où elle touche l’obéissance de Jésus,
elle sent que quelque chose se passait dans son corps.
La guérison.
La guérison d’un fléau intérieur qui la dévaste depuis 12 ans.

Ce « quelque chose » qui intérieurement l’a amenée à Jésus,
ce « quelque chose » ne l’a pas trompée.
La foi ne l’a ni trompée, ni déçue :
elle est guérie.

Et déjà elle se retire discrètement, « ni vue, ni connue »…
portant avec elle le secret de cette guérison.
Mais à ce moment-là, ce produit le grand bouleversement,
l’inattendu total.

« Qui M’a touché les vêtements ? »
« Qui m’a touché ? » (Lc 8,45)
Tous nient…
« Maître, répond Pierre, les foules T’oppressent
et Te bousculent ! » (Lc 8,45) et
« Tu dis qui M’a touché ? » (Mc 5, 31).

« Quelqu’un M’a touché,
car Moi je sais qu’une puissance est sortie de Moi » (Lc 8,46).
Et Jésus regarde tout autour.

Alors la femme voit qu’elle ne peut se dérober.
Tremblante, elle vient se jeter aux pieds de Jésus
et en face de tout le monde,
elle proclame pour quelle raison elle a touché Jésus
et comment elle vient d’être guérie (cf. Lc 8,47).

« Fille, ta foi t’a sauvée.
Va en paix : sois guérie de ton fléau » (Lc 8,48).

Quelle merveille…
Mille fois, cent mille fois mieux
que l’absolution rituelle de la Loi.
Elle vient d’être restaurée non seulement physiquement,
mais socialement et religieusement.
Elle vient d’être reconnue comme personne,
elle qui était l’impure continuelle.
Elle vient d’être regardée.
Et quel regard…
D’être bénie, absoute, et même déclarée « sauvée ».
Elle vient de recevoir la « paix »,
c’est-à-dire la pleine réconciliation avec le Dieu d’Israël.
Et cela au vu et au su de toute la foule.

Je ne suis plus une impureté sexuelle.
Je suis une femme restaurée dans sa féminité,
dans sa dignité,
dans sa relation avec Dieu.

Telle est l’œuvre de Jésus…
Merveille à nos yeux.

L’œuvre de Jésus que Paul a résumée
pour les chrétiens de Corinthe
en une phrase magnifique :
« Vous connaissez la grâce (charis), la bienveillance, la générosité
de notre Seigneur Jésus-Christ
qui, pour nous, à cause de nous,
riche qu’Il est, S’est appauvri
afin que vous, par sa pauvreté, vous soyez enrichis » (2 Cor 8,9).

Chaque miracle est infiniment coûteux pour Jésus.
Chaque œuvre de guérison, de restauration,
de résurrection coûte à Jésus le prix de son propre sang,
de sa Passion ;
de sa Passion physique, psychologique et spirituelle.

Tout ce que nous recevons de Jésus procède de sa croix.

La mort est entrée dans le monde par la jalousie du démon,
dit le Livre de la Sagesse (Sg 2,24).
Et la mort en est sortie par le sang de Jésus.
La jalousie du démon nous enfonce dans la tristesse et la mort ;
la Pâques de Jésus nous en libère
et nous ouvre la Vie éternelle dans le cœur du Père.
Voilà ce qui est au cœur de notre foi chrétienne.

*

Frères et sœurs,
nous arrivons au terme d’une année pastorale si belle, si riche.
Si nous sommes ici ce dimanche,
c’est parce que Jésus a pris soin de nous.
Sans le voir, nous L’aimons, n’est-ce pas ?
Combien de fois Jésus nous a restaurés intérieurement
par une Parole, par son Eucharistie, par son pardon,
par les petits miracles de sa grâce, par le don de son Esprit,
que nous avons obtenu souvent discrètement
dans le secret de notre cœur…

N’est-ce pas vrai ?

Alors aujourd’hui, Jésus se retourne vers nous tous
et dit « Qui M’a touché ? »
Qui M’a touché cette année ?
Qui M’a appelé cette année ?
Qui M’a prié cette année et a été béni, consolé,
fortifié, guéri, converti ?
Qui ?

Ce serait difficile de nous donner la parole à tous ce matin…
Alors je vous demande quelque chose :
au cours des prochaines semaines,
aller trouver quelqu’un de votre choix
et dites-lui, racontez-lui ce que Jésus a fait pour vous cette année !
Dites à cette personne et à Jésus en même temps,
comme la femme de l’Évangile.

Pourquoi ?
Parce que le Seigneur veut nous restaurer plus en profondeur.
Parce qu’Il veut nous tisser dans un unique corps.

Parce qu’Il nous aime :
c’est l’Amour fou de Jésus.
De Lui, de son corps, de son Corps ressuscité,
c’est-à-dire de son Corps eucharistique,
sort une puissance de guérison et de résurrection maintenant.

« Ne crains pas, crois seulement ! » (Mc 5,36)

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