FMJ Mtl3e DIMANCHE DE CARÊME – A
Frère Antoine-Emmanuel
Ex 17, 3-7 ; Ps 94 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42
23 mars 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Notre puits intérieur serait-il bouché?

Dix-sept jours déjà depuis que nous avons pris la route du carême.
Si nous sommes sérieux avec le carême
ce ne peut pas être sans combat.
Nous nous heurtons à nos passions.
Une part de nous s’indigne contre l’ascèse, le jeûne,
le temps donné à la prière
et aux plus pauvres.
Et nous ressemblons au peuple d’Israël
en colère en plein désert :
Est-ce pour nous faire mourir de soif (Ex 17,3)
que tu nous as fait prendre la route ?

Alors aujourd’hui le Seigneur renouvelle
le miracle de Massa et de Mériba.
Dans ton désert, dans mon désert,
Il fait jaillir une source inattendue :
« Prends le bâton, tu frapperas le rocher,
dit Dieu à Moïse,
il en sortira de l’eau et le peuple boira ! » (Ex 17,6).
Et ce rocher c’était le Christ dit l’apôtre Paul (1 Co 10,4).

Prends le bâton de la foi,
frappe le rocher de l’Évangile,
et il en jaillira un fleuve d’eau vive.

Voilà ce que nous allons faire avec l’Évangile de ce dimanche.
Et quel Évangile !

L’histoire de la femme de Samarie.
Ce n’est pas une parabole
parce que ce n’est pas du tout le style du quatrième Évangile.
C’est une histoire bien réelle
que Jean rapporte dans son style à lui,
si riche de symboles et de profondeur spirituelle.

C’est l’histoire de la femme
qui fut la toute première évangélisatrice de l’Évangile.
Et qui est-elle ?
Elle est une femme fatiguée.
Fatiguée par sa vie laborieuse
avec ses allers et retours à la source qui était à distance de sa ville.
Mais surtout fatiguée par sa vie affective
qui ne débouchait sur rien.
Cinq maris successifs
et maintenant un homme qui n’est pas son mari à elle…
Et puis au plan spirituel,
elle ne sait pas qui il faut croire.

Elle est ainsi devenue une femme qui se cache.
Elle a inventé ses stratégies pour ne croiser personne
en allant puiser de l’eau à l’heure la plus chaude du jour.
Et la voici aujourd’hui qui s’en va comme chaque jour
au puits de sa lassitude, de ses routines,
de sa solitude, de sa honte…
Une fois de plus…

Mais aujourd’hui il y a quelqu’un qui est assis
à côté de son puits…
Un homme.
Un juif.

Il lui adresse la parole : « Donne-Moi à boire » (Jn 4,7).
Elle est déjà fatiguée et lasse, et Il lui demande à boire.

C’est son style…
Demandez à Simon-Pierre :
« Nous avons péché toute la nuit (Lc 5,5)
et tu me demandes de repartir en mer ? »
Demandez à Simon de Cyrène
qui revenait du travail dans les champs. (cf. Lc 23,26)
Et pensez au serviteur au retour du travail
à qui le maître demande :
« Mets-toi en tenue pour me servir » (Lc 17,8).

« Donne-Moi à boire »…

La femme commence pas se protéger, se mettre à distance.
Ne touche pas ma vie,
ne t’approche pas de mon cœur blessé…
Toi, Tu ne connais pas les règles :
Tu me parles en public à moi, une femme ;
samaritaine qui plus est…
Toi Tu veux me donner à boire
alors que Tu n’as rien pour puiser.
Voyons donc…
Moi, je sais.
Moi, je me connais…
En fait ce n’est pas vrai,
mais je l’affirme fort
pour que tu ne me déranges pas.
Car je suis attachée à ma routine.
Mon trésor ce sont mes blessures
et je me suis maintenant adaptée à mon exil…

Mais l’amour de Jésus ne se décourage pas
devant ce mur de la honte…
Car Jésus a soif de la foi de cette femme.
Il continue à frapper à la porte de son cœur.

Et peu à peu la honte s’effrite
et la femme se laisse atteindre
consentant à dévoiler la nudité intérieure
qu’elle cachait (cf. Gn 2,25).

Elle dévoile sa soif.
Elle retrouve elle-même la soif qu’elle refoulait.
Elle reconnaît qu’au fond d’elle-même
elle a soif d’une source…
Elle reconnaît qu’elle n’en peut plus
de cette succession d’amours déçus.
Elle reconnaît qu’elle ne veut plus
d’une religion étroite et bourrée d’incertitudes.

En face de Jésus elle retrouve sa soif
et elle découvre un vis-à-vis, un visage qui répond
au plus profond de son désir…

Elle découvre en Jésus
Celui qui lui donne l’eau vive, la vraie.
Une eau qui en elle devient source.
C’est-à-dire que l’on ne peut recevoir l’amour de Jésus
sans le partager,
sans devenir soi-même une source.

Elle découvre en Jésus la véritable Époux
qu’elle avait cherché partout.
Ce n’est pas pour rien que Jésus l’attendait au puits.
Le puits est le lieu biblique par excellence
de la première rencontre de l’époux et de l’épouse.

Et elle découvre en Jésus la réponse – en personne –
à sa quête spirituelle.
Sa spiritualité était étriquée,
et lui demandait d’adorer un Dieu
qui en fait elle ne connaissait pas (cf. Jn 4,22).
Et voici que s’ouvre pour elle l’adoration en esprit (v. 23),
c’est-à-dire qui jaillit de la présence en elle de l’Esprit Saint,
et dans la vérité (v. 23),
dans la solidité qui est celle du Christ
livré pour elle, sans retour,
qui lui dévoile la tendresse du Père.

En face de Jésus, la profondeur de notre désir
apparaît d’une manière bouleversante.
Et nous découvrons que jusque là
nous avons comblé notre désir
par toutes sortes de sensualités
qui sont incapables de nous réjouir…

On pense ici à Saint Augustin.
Si tu aimes ce qui est de la terre, tu deviendras terre.
Si tu aimes Dieu, tu deviendras Dieu…

*

Frères et sœurs,
le puits très profond où coule l’eau vive,
ce n’est pas le puits de Samarie
que Jacob a donné à son clan.
Le puits très profond… c’est Jésus.
Lui dont l’humanité est d’une profondeur divine,
parce qu’Il est Dieu.

Jésus, qui, aujourd’hui te dit : « Donne-Moi à boire ! »
Car Il a soif de toi,
soif de ta foi.
Jésus qui nous demande notre nature humaine
pour pouvoir nous partager sa nature divine.

Mais ce puits aux eaux très profonde,
c’est aussi toi, c’est aussi moi.
Nous portons en nous un désir d’une profondeur infinie
mais nous l’avons rempli
avec toutes sortes de consommations
parce que nous avions peur d’avoir soif.

Et, plus handicapant encore,
nous nous sommes habitués
à cet exil loin de notre vrai désir.

Mais aujourd’hui, Jésus vient nous révéler
la vérité de notre être,
ce qu’aucun psychologue ne pourra jamais faire.
Et que se passe-t-il si nous laissons le Seigneur
déblayer notre puits de toutes nos passions ?
Regardons la femme de Samarie.

Que fait-elle ?
Maintenant qu’elle a rencontré Jésus
elle quitte ses stratégies de solitude et de honte,
elle laisse sa cruche
et elle court à la ville.
En un mot : elle sort d’elle-même.
Elle sort de son enfermement, de ses blessures et ses passions
et elle partage avec tous l’eau de la source divine.

Et que dit-elle ?
« Venez voir un homme
qui m’a dit tout ce que j’ai fait » (Jn 4,29).
et qui ne m’a pas jugée,
qui ne m’a pas condamnée,
qui ne m’a pas rejetée
et qui m’a même demandé à boire.

Regardez bien :
est-ce que l’Évangile nous dit
qu’elle est devenue une femme extrêmement vertueuse ?
Non !
La vraie conversion ce n’est pas d’abord cela.
La vraie conversion, c’est de sortir de soi.

Si aujourd’hui nous sommes incapables d’annoncer l’Évangile
et que nous restons figés dans notre religion narcissique,
c’est que notre puits intérieur est bouché
rempli de ce qui est de la terre.
Tu as comblé ton désir par ce qui ne peut pas te combler.

Et c’est pourquoi Jésus est là aujourd’hui
qui t’attend près de ton puits
pour te libérer de la honte.

Laisse-toi aimer.
Entend cette parole de l’apôtre Paul :
« La preuve que Dieu nous aime,
c’est que le Christ est mort pour nous
alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,8).

Laisse-toi aimer
et laisse jaillir en toi la source de l’Eau vive :
l’Amour de Dieu aujourd’hui vient se répandre en toi
par l’Esprit Saint qui t’est donné en cette Eucharistie (Cf. Rm 5,5)

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