FMJ MtlMercredi, 13e Semaine du Temps ordinaire – A
Frère Thomas
Am 5, 14-15.21-24 ; Ps 49 ; Mt 8, 28-34
2 juillet 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Qu’est-ce qui vaut plus que 2000 porcs ?

Voilà une bien étrange affaire que cette histoire
des démoniaques du pays des Guadaréniens.
Nous pouvons d’abord remarquer que c’est la première fois
que Jésus rencontre de l’opposition
dans l’Évangile de Saint Matthieu.
Opposition des démons,
et opposition des habitants du pays
qui supplient Jésus de partir de chez eux,
alors qu’Il vient de libérer deux des leurs.

Il y a là toute la question
de l’accueil du Salut de Jésus Christ.
Si Jésus délivre deux hommes de l’emprise du démon,
s’Il leur rend leur bon sens et leur dignité,
un troupeau de deux mille porcs est perdu dans la mer.

Sommes-nous prêts à renoncer
aux bénéfices secondaires associés à nos aliénations,
dont Jésus veut nous délivrer ?

Jésus débarque avec ses disciples au pays des Guadaréniens,
sur l’autre rive du lac de Galilée, en terre païenne.
Il est accueilli par deux hommes
qui ont perdu leur bon sens, par l’action des démons.
Ils vivent dans les tombeaux, et les évangélistes Marc et Luc
– dans les passages correspondants –
nous apprennent qu’ils sont dévêtus,
qu’ils passent leur temps à crier
et à se taillader avec des pierres.

Ils nous apprennent même
que les habitants de la région
ont essayé de les maîtriser avec des chaînes,
mais sans succès : ils ont même brisé les chaînes.
Nous dirions de nos jours que ces pauvres hommes
sont atteints de maladie mentale.
En tous cas, ils ne sont plus eux-mêmes, ils sont aliénés,
emprisonnés dans une colère qui les dépasse,
qui se tourne contre eux-mêmes et contre les autres.
Et dès que Jésus arrive,
c’est contre Lui qu’ils tournent leur colère :
« Que nous veux-tu, Fils de Dieu ?
Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps ? » (Mt 8,29)
Les démons savent que Jésus est Fils de Dieu,
et sa présence les importune au plus haut point !
Satan avait déjà essayé
de faire tomber Jésus par la tentation,
mais il n’y était pas parvenu.
Et voilà que Jésus vient sur son territoire.

Tout va alors très vite :
les démons, même s’ils vocifèrent,
se trouvent impuissants devant Jésus,
et ils le supplient de l’envoyer dans un troupeau de porc
qui est en train de paître.
Jésus le leur permet,
et alors le troupeau de porcs se trouve englouti dans la mer.
Les gardiens de ce troupeau
vont alors tout raconter aux gens de la ville,
et voilà que ceux-ci, à leur tour,
supplient Jésus de quitter leur région.

C’est tout de même étonnant !
Ne devraient-ils pas plutôt
supplier Jésus de rester auprès d’eux,
pour délivrer d’autres possédés, d’autres aliénés ?
Mais non !
Les porcs comptent davantage pour eux
que les personnes humaines.
Si les deux hommes sont libérés, eux ne le sont pas !
Ils restent esclaves de leurs bénéfices économiques
qui leurs procurent des avantages matériels.
« Allons bon ! Si Jésus reste avec nous,
il va ruiner notre élevage du porc ! »

Il est vrai que Jésus est Juif,
pour qui le porc est un animal impur.
Et eux, les Guadaréniens sont des païens,
qui n’ont aucun problème religieux à élever des porcs.
Mais il y a là bien plus
qu’une simple question de viande autorisée ou interdite.
Pourquoi donc les démons ont-ils supplié Jésus
de les envoyer dans les porcs ?
Il y a comme un lien
entre l’aliénation des deux pauvres hommes
et l’avidité des Guadaréniens pour la viande de porc.
Ces deux hommes dans les tombes
étaient comme un prix à payer
pour la prospérité de l’élevage des porcs.

Ainsi les diverses dépendances
qui aliènent les humains
sont toujours accompagnées de bénéfices secondaires,
auxquels on tient !

Ainsi pour être libéré de la dépendance à l’alcool,
cela prend pour la personne de renoncer au plaisir de boire,
de consentir à voir ses bouteilles à lui
comme être jetées à la mer.

Pour être libéré d’un caractère colérique,
cela prend pour la personne de renoncer
à la satisfaction de s’emporter contre son frère, sa sœur,
de consentir à voir le pouvoir sur les gens
que lui confèrent ses haussements de la voix
partir dans la mer.

Et au niveau de notre terre,
pour être libéré des effets néfastes du réchauffement climatique,
cela prend pour les habitants les plus riches
de renoncer à s’offrir bien des luxes de consommation,
de consentir à voir bien de leurs avantages matériels acquis
partir dans la mer.

Et pour être libérés des souffrances liées à l’individualisme,
cela prend pour moi de renoncer à regarder les autres personnes
comme des objets pour ma satisfaction,
de consentir de voir bien des droits et avantages
que la culture ambiante me donne
partir dans la mer.

Ainsi donc l’épisode des démoniaques Guadaréniens
nous renvoi à la façon dont nous accueillons le salut,
la libération de Jésus en nos vies.

Si je pense comme les démons
– si je me laisse guider par eux –
alors je dirai – tout haut ou tout bas – à Jésus :
« Que me veux-tu Fils de Dieu ?
Es-tu venu pour me faire souffrir ? »
C’est bien ainsi que pensent les Guadaréniens,
qui ne voient pas la libération
que Jésus a accomplie chez eux,
mais qui s’empressent de lui demander de partir.

Mais si je pense comme Jésus
– si je me laisse guider par l’Esprit Saint –
je Le laisserai me libérer de mes dépendances aliénantes,
je Le laisserai me libérer quand Il voudra
et je collaborerai bien volontiers à toutes ces libérations
– dussé-je perdre pour cela un troupeau de 2000 porcs.
Car la libération, la dignité retrouvée d’une personne humaine
vaut plus que tous les porcs du monde !

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