FMJ Mtl4e DIMANCHE DE CARÊME – A
Frère Thomas
1 S 16, 1…13 ; Ps 22 ; Ép 5, 8-14 ; Jn 9, 1-41
30 mars 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Le regard de Dieu.

Le Carême nous conduit vers la fête de Pâques.
Au début de la célébration de la Vigile pascale,
le Cierge pascal allumé entre dans l’église
plongée dans l’obscurité.
Et c’est à partir de ce Cierge pascal
– qui symbolise alors le Christ ressuscité –
que toute l’église est illuminée.

En ce 4e Dimanche de Carême de l’année A,
c’est le thème de la lumière
que l’Église offre à notre contemplation et à notre prière,
pour nous préparer à mieux recevoir
la lumière du Christ à la fête de Pâques.

Dimanche dernier, avec l’Évangile de la Samaritaine,
c’était le thème de l’eau vive,
qui nous préparait à mieux recevoir
l’eau de notre baptême à la fête de Pâques.
C’est là un chemin que l’Église a tracé
pour le Carême, d’abord pour les catéchumènes,
les adultes qui se préparent à recevoir le baptême à Pâques.

C’est là un chemin que l’Église
a tracé pour le Carême pour nous tous,
baptisés ou futur baptisés.
Et même ceux et celles qui ne sont pas baptisés
et n’ont pas demandé à recevoir le baptême
peuvent se sentir rejoints par ce chemin du Carême.

Avec l’Évangile de l’Aveugle-né,
c’est le thème de la lumière et du regard qui nous est offert.
Tous ne voient pas la même chose.
Les disciples de Jésus, et surtout les pharisiens,
voient dans l’aveugle-né un pécheur,
un homme plongé dans le péché.
Quel regard portons-nous sur les personnes malades,
handicapées, âgées, souffrantes,
lorsqu’un mal s’inscrit de façon durable dans leur corps ?
Voyons-nous de la lumière, ou ne voyons-nous que des ténèbres ?
Et quel regard protons-nous alors sur le monde dans sa globalité ?

Jésus, Lui, voit dans l’aveugle-né
une occasion pour l’action de Dieu de se manifester.
Jésus, en rendant la vue à l’aveugle,
lui donne un autre regard sur lui-même.
Il ne se voit plus plongé dans le péché.
Mais les pharisiens, eux,
en refusant de reconnaître l’évidence de la guérison de l’aveugle,
n’en ont que le regard davantage obscurci.
Laissons-nous Jésus ouvrir nos yeux,
pour voir le monde avec ses yeux ?

Jésus finalement, apparaît comme la Lumière du monde.
Il ne vient pas pour ramener le monde à Lui,
mais pour montrer au monde tout ce qui en est beau !

« Rabbi – demandent les disciples à Jésus –
pourquoi cet homme est-il né aveugle ?
Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? » (Jn 9,2)

Il y avait, au temps de Jésus, une conviction
que si une personne avait une infirmité,
c’est qu’elle payait un péché qu’elle avait commis,
ou que ses parents avaient commis.
Et les pharisiens vont jusqu’à lancer à l’aveugle guéri :
« Tu es tout entier plongé dans le péché
depuis ta naissance » (Jn 9,34).

C’est un fait que de tous temps et en tous lieux,
les humains ont tendance à rationnaliser
lorsque le mal, la maladie, la souffrance
s’inscrivent durablement dans le corps.
Dans les traditions religieuses de l’Extrême-Orient par exemple,
si une personne vit une lourde épreuve dans sa vie présente,
c’est qu’elle paie une lourde faute d’une vie antérieure.
On cherche un coupable.
Mais au bout du compte, la personne souffrante
se retrouve marginalisée, mise au ban de la société.

Le pape François, dans son exhortation « La joie de l’Évangile »,
parle des personnes qui aujourd’hui
sont traitées comme des déchets de la société.
Non seulement elles sont marginalisées,
mais elles ne font plus partie de la société.
Pensons à la masse considérables des itinérants, des sans logis.
Pensons aux personnes âgées abandonnées par leurs familles.
La présence des personnes souffrantes, malades,
handicapées durablement est insupportable
à une civilisation du bien-être, du pouvoir.
Quantité de lois sont mises en place ici ou là,
qui s’appellent interruption volontaire de grossesse,
interruption médicale de grossesse,
aide médicale à mourir, suicide assisté,
qui disent en fait
qu’un certain nombre de personnes sur cette terre
sont indésirables.
On ne parle plus de péché pour ces personnes,
mais on leur donne quand même la mort
comme si elles étaient coupables de je ne sais quel crime.

Quel regard sur l’humanité est ainsi développé ?
Si des humains voient d’autres humains
comme des infrahumains qui ne méritent pas de vivre…
ils croient voir, mais ils sont en fait dans les ténèbres.
Accepteront-ils la lumière ?

En voyant l’Aveugle-né,
Jésus ne voit pas la même chose que ses disciples :
« Ni lui, ni ses parents n’ont péché.
Mais l’action de Dieu devait se manifester en lui.
» (Jn 9,3)
De la même façon, Dieu dit à Samuel
qui voulait oindre Éliab, fils de Jessé :
« (…) Dieu ne regarde pas comme les hommes,
car les hommes regardent l’apparence,
mais le Seigneur regarde le cœur » (1 S 16,7).

Et Jésus applique de la boue sur les yeux de l’aveugle,
comme pour le recréer, le refaçonner.
C’est Dieu qui a l’initiative,
mais c’est à l’homme qu’il appartient
d’accueillir ou non son salut.
L’aveugle, qui n’avait rien demandé,
a foi en Jésus, il Lui fait confiance,
et il va se laver les yeux à la piscine de Siloé,
comme Jésus le lui demande.

Dieu a un autre regard que nous
sur tout ce qui est malade blessé, souffrant, abaissé, humilié.
Nous avons tendance à n’y voir
que dysfonctionnement, rebut.
Si nous ne parvenons pas à le réparer,
le guérir nous-mêmes,
alors nous voulons le faire disparaître :
cela nous dérange au plus haut point.
Alors que Dieu n’y voit que soif à désaltérer,
détresse à soulager, désir d’amour à combler.
Mais plus encore Dieu veut nous donner son propre regard.
Les pharisiens continuent à regarder l’aveugle (pourtant guéri)
comme plongé dans le péché depuis sa naissance.

Mais l’aveugle guéri, lui,
se voit désormais sauvé par Jésus,
aimé par Celui en qui il croit.
Il se voit comme une merveille de Dieu.
Voilà donc un enjeu crucial de notre foi en Jésus Christ :
quel regard sur le monde, sur nous-même, sera le nôtre ?
Un regard qui croit tout voir, tout savoir,
mais qui en réalité ne voit rien ?
Ou bien un regard qui se laisse sans cesse éclairer, enseigner,
par la lumière du Christ ?

Jésus, qui est le Verbe de Dieu fait chair,
Se présente à nous comme la Lumière du monde.
Nous pourrions recevoir cette affirmation
comme bien présomptueuse de la part d’un homme.
En fait elle est pleine d’humilité.
Que fait la lumière dans le monde sinon éclairer le monde ?
S’il n’y avait pas de soleil,
notre terre serait plongée dans l’obscurité.
Le soleil ne cherche pas à ramener ce qui est sur la Terre à Lui :
au contraire, en l’éclairant,
le soleil met en valeur tout ce qui se trouve sur la Terre.

Ainsi Jésus, en étant la Lumière du monde,
ne cherche pas à ramener le monde à Lui
– comme le ferait un despote, un dictateur –
au contraire, il veut montrer au monde
combien il est beau : il veut mettre le monde en valeur.
« Autrefois – nous dit St Paul – vous n’étiez que ténèbres ;
maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ;
vivez comme des fils de la lumière » (Ép 5,8).
Et si nous nous laissons éclairer,
pénétrer de la Lumière du Christ,
nous devenons nous-mêmes lumière pour le monde.
À notre tour nous pouvons montrer au monde
combien il est beau.
Et c’est un fait que depuis 2000 ans,
les chrétiens ont été présents là où il y a de la violence,
de la misère, de la maladie, de la détresse, du péché.
Parce qu’au lieu de n’y voir que de la laideur,
ils y voient la beauté du désir et de l’amour à partager ;
grâce à leurs yeux qui ont été ouverts par le Christ à sa lumière.

Que le Seigneur Jésus soit béni,
pour la Lumière qu’Il nous donne
par sa mort et sa résurrection.
Que nous Le laissions ouvrir nos yeux,
afin qu’au cœur de ce qui nous paraît être
des ténèbres inextricables,
nous voyions la beauté de son amour ;
et qu’à notre tour nous ouvrions les yeux de nos frères et sœurs
en humanité à sa lumière.

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