FMJ MtlJeudi, 5e Semaine de Carême – A
Frère Antoine-Emmanuel
Gn 17, 3-9 ; Ps 104 ; Jn 8, 51-59
14 avril 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Rire et sourire comme Dieu

Quand le Seigneur s’adressant à Abraham
renouvelle la promesse d’une descendance,
quand il lui annonce explicitement
que Sara son épouse âgée de 90 ans va enfanter,
Abraham a une réaction étonnante :
il se prosterne et il rit (cf. Gn 17,17).
Il y a à la fois le prosternement face contre terre
de celui qui croit, qui adore, qui confesse la sainteté de Dieu
et le rire.

Quelle sorte de rire est-ce là ?
Il y a dans ce rire une part d’incrédulité
puisque Abraham se dit en lui-même :
« Un enfant naîtrait-il à un homme de 100 ans ?
Ou Sara avec ses 90 ans pourrai-elle enfanter ? » (Gn 17,17)
Et Abraham a vite fait de dire à Dieu qu’Ismaël est là
et que c’est comme cela
que la Promesse s’accomplira… (cf. 17,18).
C’est comme cela que moi, Abraham,
je me suis chargé de réaliser la Promesse à ta place !

Saint Jérôme et Saint Jean-Chrysostome
interprètent ainsi le rire d’Abraham comme un rire d’incroyance.

Mais cette interprétation ne suffit pas.
Le rire d’Abraham est accompagné d’un geste d’adoration
et cela n’est pas neutre.
De fait, Saint Ambroise voit dans ce rire non l’incrédulité,
mais la joie.
Abraham est traversé par une poussée intérieure de joie.
Son rire dit son émerveillement
parce que Dieu promet ce qui est au-delà de toute attente ;
parce que Dieu lui fait miséricorde
et renouvelle la promesse qu’Abraham s’était appropriée
en la réalisant lui-même à la place de Dieu.

À la réaction – tout au moins mitigée – d’Abraham,
le Seigneur répond en confirmant sa Promesse
et en révélant le nom de l’enfant : Yatz’aq (Isaac).
Ce nom est lié au verbe hébreu tsa’aq qui signifie sourire.
On pourrait traduire le prénom Isaac par :
Que Dieu sourit.
Que Dieu rit.
Que Dieu soit bienveillant.

Abraham n’avait donc pas tort de rire.
Dieu Lui-même en donnant cet enfant sourit et rit !
La naissance de cet enfant est un éclat de joie de Dieu.

Sara quant à elle aura un itinéraire différent.
Sa première réaction, quand elle entend l’annonce de sa grossesse,
est de rire en elle-même en disant :
« Toute usée – usée comme un vieux vêtement – comme je suis
pourrai-je encore jouir ?
Et mon mari est si vieux ! » (Gn 18,12)
« Pourquoi ce rire de Sara ? » dit le Seigneur à Abraham (v. 3).
« Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur ? » (v. 14)
Sara nia en disant : « Je n’ai pas ri »
car elle avait peur.
« Si, reprit le Seigneur tu as bel et bien ri » (v. 15).

Ce premier rire de Sara est un rire nerveux, un rire d’incroyance,
un rire convaincu que la vie ne peut jaillir en elle.

Mais quand Isaac naîtra, Sara s’écriera :
« Dieu m’a donné sujet de rire !
Quiconque l’apprendra rira à mon sujet » (Gn 21,6).

Ce rire-là est celui de l’émerveillement,
parce que rien, vraiment rien,
n’est trop merveilleux pour le Seigneur.
Sara est passée du rire solitaire de la désespérance
au rire joyeux de l’émerveillement et de la joie contagieuse.

Revenons à Abraham.

Jésus dit d’Abraham qu’il tressaillit de joie
en voyant venir le jour de Jésus (cf. Jn 8,56).

Pourquoi Jésus met-il en relation la naissance d’Isaac
avec son propre jour, avec le « jour de Jésus » ?
Parce que la naissance d’Isaac
c’est l’espérance d’une descendance qui se réalise ;
c’est une échappée de Dieu dans l’histoire humaine,
c’est le jour du Messie qui déjà pointe à l’horizon.

Et Jésus ajoute : Abraham a ensuite vu effectivement
le jour de Jésus et il n’a pas seulement tressailli (ήγαλλιάσατο)
mais il s’est réjoui (έΧάρη).

Quand Abraham a-t-il vu clairement le jour de Jésus ?
Sur le Mont Morryah, quand il a offert son fils,
quand il a accepté de l’offrir définitivement.

À ce moment qui était un moment de mort de tout son être,
de mort de toute son espérance,
il a reçu son fils,
il a reçu l’accomplissement – mûr – de la Promesse :
ce jour-là, Abraham a vu le jour de Jésus.
Il a « vu » la Résurrection du Christ déjà manifestée,
il a vu l’Amour de Dieu
qui veut la confiance et la foi et non le sacrifice.

Et, nous dit Jésus, Abraham s’est réjoui.
Il est passé du premier tressaillement
où se mélangeaient émerveillement et incroyance,
à la pleine joie devant les merveilles de Dieu.

Le jour du Christ,
le jour où la mort est dessaisie de sa proie
et où le Fils est donné vivant au monde,
c’est le jour de la plus grande joie.
la joie des joies.

Le Mystère pascal c’est la joie qui jaillit
là où on ne l’attend pas : en pleine mort.
C’est cela que nous allons vivre ces prochains jours.
Et il nous faudra être très attentifs aux promesses de joie
que Jésus va nous renouveler au soir du Jeudi Saint.
Le Seigneur va accomplir ses promesses.
Le Seigneur va nous faire rire de sa joie pure et lumineuse.

Le monde d’aujourd’hui ressemble beaucoup à Sara
dans son premier rire :
Il y a dans le monde quelque chose de blasé, de vieux :
« Tout usé par mes échecs,
pourrai-je encore jouir et donner vie ? »

Nous chrétiens nous sommes appelés
à être l’annonce de la vie, de la joie de Dieu.
C’est à nous qu’il revient, avec nos frères juifs,
de proclamer qu’il n’y a rien de trop merveilleux pour le Seigneur.

Nous avons un ministère de joie
que cette Pâques qui vient va ranimer.
Notre ministère est de faire passer nos frères et sœurs en humanité
du rire nerveux, ironique, sarcastique
des shows télévisés et du festival « juste pour rire »,
au rire joyeux de l’espérance et de l’émerveillement.

Réjouissons-nous
parce que nous allons voir le jour de Jésus.
Et nous allons le faire voir par une vie qui n’a pas peur de rire,
et surtout de sourire.

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