sanct - sm24e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Alain Faubert, ptre
Première messe à Montréal de Fr Benoît
Ordonné prêtre le 30 août à Magdala, France
par Mgr Joseph Doré
Is 50, 5-9 ; Ps 114 ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35
13 septembre 2009
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Te voilà gardien de la foi

Frères et sœurs ce n’est pas tous les jours, par les temps qui courent, qu’on a l’occasion de souligner l’ordination d’un prêtre… Alors que frère Benoît nous arrive encore huileux, vous me permettrez, dans cette homélie, de m’adresser souvent plus directement à frère Benoît… Mais je ne nous oublie pas, croyez-moi, car nous sommes l’Église à qui ce prêtre est donné.

Nous n’avons pas à l’accueillir comme un nouveau membre du Corps que nous formons par l’Esprit, dans le Christ. Mais comme un membre renouvelé par cet Esprit, totalement orienté désormais, au service pastoral de ce Corps qui n’existe lui-même qu’en service de l’Évangile et du Règne de Dieu au cœur de ce monde, auprès de nos frères et sœurs en humanité.

C’est tout de même providentiel d’accueillir cet Évangile de la confession de foi de Pierre, au moment où nous célébrons le don qui est fait à l’Église, le don d’un nouveau prêtre. Regardons ensemble cet Évangile, en nous collant à la figure de Pierre, à son expérience. Et demandons-nous ce que ça peut inspirer pour le ministère de frère Benoît, mais aussi pour notre service commun, qu’il doit désormais contribuer à animer.

Dans ce passage, m’est avis que le Christ ne joue pas aux devinettes. Depuis les commencements, il a pris ses disciples par la main, il les a accompagnés dans leurs questionnements, il a patienté devant leurs lenteurs à comprendre. Il n’a pas tout dévoilé d’un bloc. Il a éveillé leurs soifs et commencé à leur donner à boire, à leur mesure. Il provoque tout de même chez eux un pas de plus, pour avancer dans le mystère de son agir et de sa personne.

On voit que Pierre non plus ne joue pas aux devinettes : il engage sa personne et son avenir dans les quelques mots qu’il ose devant les autres. C’est en fait l’Esprit qui a guidé son discernement et qui lui dévoile la vérité du mystère à même l’expérience qu’il a faite, dans ce qu’il a vu et entendu, dans ce qu’il a commencé à toucher, sans le savoir, du Verbe de Vie.

Et voilà cette confession de foi de Pierre, sur laquelle l’Église du Christ est bâtie, dont l’Église est pétrie ! (Excusez le jeu de mots) Oui, pétrie ! Parce que Pierre est la figure de l’Église qui dit sa foi en Christ. Pierre, c’est nous.
Pour Pierre, on le voit ici, c’est une foi encore naissante, qui n’est pas encore foi dans le Serviteur souffrant. Il lui manque la lumière de l’Esprit sur le mystère pascal.

Mais pour nous aussi, c’est une foi encore en croissance, en approfondissement. Peut-être que comme Pierre, nous sommes plus portés à entendre les annonces joyeuses du prophète Isaïe («L’Esprit du Seigneur est sur moi; il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres… la joie aux affligés» (61,1-2))… ça, ça passe pour nous, comme autrefois pour Pierre. Mais peut-être que nous ne sommes pas encore pleinement ouverts au scandale du Juste méprisé, condamné comme un criminel, retranché de la société des hommes comme un réprouvé et un maudit de Dieu. Peut-être que, comme Pierre, on entrevoie et on redoute pour nous-mêmes, ce même destin possible, si nous demeurons associés à Lui, à la foi et à la religion dont il est le fondement et la pierre angulaire.

Qu’est-ce que ça inspire pour ton ministère pastoral ? Il me semble que l’Église doit continuer à vivre l’expérience que Pierre a vécue. Que ton ministère, ta personne entièrement consacrée à ce ministère, serve cette foi qui s’approche pas à pas du Mystère, dans l’expérience vécue de la vérité de l’Évangile et de son actualité. Ton ministère doit provoquer les autres à vivre cette expérience, à la relire sous la conduite de l’Esprit, comme Jésus l’a fait avec ses disciples, et comme il l’a commandé à ses apôtres de le faire vivre à tous les disciples de tous les temps.

Car Pierre est aussi, dans l’Église, la figure du ministère apostolique, le ministère pastoral auquel tu es désormais associé, comme prêtre, coopérateur avisé et nécessaire des évêques, dans le service de la communion dans la foi. Merveilleuse intimité entre l’Église et toi, frère Benoît. Mystère, même, d’inclusion mutuelle : te voilà gardien de la foi que l’Église a fait grandir en toi… et qu’elle te confie, pour qu’en communion avec les successeurs des apôtres, tu la gardes elle-même, l’Église, dans l’unité de la foi catholique et apostolique.

Tu es ordonné par le Père qui a envoyé sur toi, en toi, au plus profond de ton être, l’Esprit Saint, à la prière du Christ total, Tête et Corps. Tu es ordonné pour ordonner la fraternité que nous formons, pour contribuer à l’œuvre de l’Esprit qui construit aujourd’hui encore le Temple, qui édifie le Corps du Christ. Tu es ordonné pour présider l’Eucharistie qui fait l’Église à la gloire de Dieu, pour en faire un étendard dressé à la face des nations, les appelants au rassemblement et à la réconciliation voulus par Lui.

Mais je vais commettre une audace théologique (paraît qu’on a le droit… dans nos homélies, seulement). Tu es aussi ordonné pour ordonner la fraternité en corps de « Pierre ». Pierre qui témoigne avec audace : « Jésus est le Messie, le Christ ». Tu es ordonné pour bâtir avec nous le Corps de Pierre qui se lève aujourd’hui et s’avance vers son Seigneur pour l’acclamer : « Tu es le Messie ; nous croyons, Jésus de Nazareth, que tu as les paroles de la vie éternelle. »

Tu es ordonné pour lire avec le peuple saint, les saintes Écritures qui témoignent du Christ, pour le guider et entrer avec lui plus avant dans le Mystère du Serviteur souffrant, rejeté par les hommes, mais justifié et glorifié par Dieu.

Tu es ordonné pour construire avec nous, pour présider à la construction du Corps de Pierre qui s’est levé au milieu de la foule, au jour de la Pentecôte, pour faire taire les cyniques, et surtout pour témoigner de la fidélité du Dieu d’Israël qui a ressuscité son Christ d’entre les morts. Que ton ministère serve aussi le témoignage que l’Église a à rendre au Christ devant les foules d’aujourd’hui.

Tu es ordonné pour lire avec le peuple saint les signes des temps, et pour diriger son discernement de la volonté de Dieu pour son Église, pour le monde qu’il aime.

Tu es ordonné pour entraîner l’Église à la charité dans la justice et la vérité, avec les diacres et les autres ministres. La charité concrète, les actes de miséricorde envers les plus fragiles, notre manière même d’être Église ensemble, tout cela témoigne (ou non) de la vérité du Christ. Pas de vraie foi sans les actes, nous rappelait tout à l’heure saint Jacques. Pas de témoignage crédible rendu à la vérité du Christ sans des relations humaines qui la reflètent.

Il va sans dire que notre propre chemin de sainteté comme ministres est au service de ce témoignage. Nous recherchons, comme le dit le P. Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, à la suite des saints du Carmel, une « sainteté pour l’Église », pour que l’Église soit entraînée à devenir témoignage du règne de Dieu.

Pour que le monde croie que Jésus est le Christ, dans l’Église, son Corps. Pour qu’il croie en l’amour fou du Père, et en son Règne qui transforme déjà le monde, en le travaillant à la manière d’un ferment.

En ce monde qui est sensible à la force des convictions, sois le ministre d’une Parole qui appelle tes sœurs et tes frères à faire la vérité à la lumière du Christ, une Parole qui s’adresse à leur liberté et qui suscite une réponse. Une Parole qui veut créer le dialogue. Une Parole qui est avant tout témoignage.

En ce monde qui zappe et clique plus vite que son ombre, incarne, rassemble et anime une Église accompagnante, qui sait honorer les questions autant que donner les réponses. Une Église qui, en ses ministres, sait prendre les gens par la main et les guider avec patience, en résistant, comme le Christ avec ses disciples d’autrefois, à la tentation de tout dire d’un bloc et de gaver les consciences avant d’avoir suffisamment éveillé les faims et les soifs véritables. Car nous vivons dans monde qui a pourtant faim et soif du vrai Dieu, malgré l’abondance des propositions spirituelles, et peut-être justement à cause de leur surabondance.

En ce monde où le sujet individuel est à l’honneur, mais où les relations humaines risquent l’appauvrissement, incarne, rassemble et anime une Église fraternelle où tous peuvent trouver place quels que soient leurs origines, les couleurs de leur foi chrétienne, quelles que soient les blessures qu’ils portent.

Église, reconnais le don qui t’es fait aujourd’hui. Benoît, reconnais que tu es donné. Tu ne t’appartiens pas, tu ne t’appartenais déjà plus depuis ton baptême. Tu étais au Christ, et tu l’es désormais d’une manière telle, dans ce ministère où l’Esprit te place, que tu dois rappeler aux autres — NOUS RAPPELER — le sérieux de NOTRE propre baptême, NOTRE propre dignité sacerdotale, prophétique et royale dans l’unique Grand Prêtre qui est le Christ.

Bien sûr, pour ce faire, tu dois être un témoin crédible de l’Évangile. Un nouveau saint Benoît ? Disons un saint en chemin. Soucieux de dévoiler le visage d’un Dieu qui nous aime encore mieux en route qu’en règle. Comme si nous pouvions être quittes de la grâce infinie qu’il nous donne dans sa miséricorde ! Sois soucieux de dévoiler la compassion de ce Dieu, comme a si bien su le faire, en son époque, un saint Jean-Marie Vianney, à qui nous te confions.

Que par son intercession, que par l’intercession des saints du ciel, et par celle des saints de la terre, Dieu veuille achever en toi, frère Benoît, ce qu’il a si bien commencé. Et que, par ton ministère et par ta vie de moine et de prêtre, il veuille bien faire mûrir les blés de la moisson éternelle. Amen.