FMJ Mtl15e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Dt 30, 10-14 ; Ps 18 ; Col 1, 15-20 ; Lc 10, 25-37
14 juillet 2013
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Un cœur grand comme le monde

Voila un Évangile embarrassant !

Le prêtre et le lévite qui descendent de Jérusalem,
qui viennent du Temple, du culte, des sacrifices,
voyant l’homme blessé, passent à l’opposé (Lc 10,31-32)…

Tandis que le samaritain,
cet hérétique détesté de tous,
une sorte de « new-ager » contestataire de la religion officielle,
lui, voyant l’homme blessé,
est remué jusqu’aux entrailles (v. 33),
met de côté ses projets, son voyage,
et s’approche pour prendre soin de l’inconnu
qui gît à demi-mort dans le fossé.

C’est embarrassant…
la religion menace la charité ?
Les lois religieuses détournent de l’amour ?

*

Pour répondre à cette question,
il faut relire le texte.

Luc dit du Samaritain qu’il est remué jusqu’aux entrailles.
C’est une expression qui partout ailleurs dans l’Évangile
n’est utilisée que pour Dieu et pour Jésus.

À la fin de l’Évangile, le docteur de la loi
parle du Samaritain comme celui qui a fait miséricorde (v. 37).
Là aussi, c’est un terme qui n’est employé
que pour parler de la miséricorde de Dieu !

Qui est ce Samaritain,
cet homme dérangeant et méprisé, venu d’ailleurs,
qui est rempli de compassion pour l’humanité en miettes
et qui fait miséricorde ?

Qui est cet homme compatissant
qui s’approche de nous quand nous sommes à demi-mort,
qui verse sur nos plaies l’huile et le vin
qui nous confie entre de bonnes mains
et qui assume tous les frais de notre guérison ?

C’est Jésus !

Quand Jésus raconte cette Parabole,
Il est en train de panser les plaies de son peuple,
de panser nos plaies.

Le vin désinfecte les blessures…
il désinfecte notre religion légaliste
qui nous replie sur nous et nous détourne de l’amour.

L’huile soulage la douleur…
Jésus répand sur nous la consolation de la miséricorde de Dieu !

Vous voyez ce qui est profondément nouveau ?
En Jésus, la religion ne peut plus nous détourner de la charité.
En Jésus, la religion devient charité.

C’est formidablement éclairant :
si notre vie de foi, notre pratique religieuse
ne nous achemine pas vers plus de charité,
nous ne sommes pas encore chrétiens.

Le chemin de la rencontre de Dieu
passe par la charité, la charité au nom de Jésus.

Le Pape François à deux reprises
a explicité cela de manière très claire.
Pour lui, il y a trois sortes de chrétiens aujourd’hui.

Il y a d’abord ceux qui sont convaincus
que le chemin pour rencontrer Dieu c’est la méditation.

« Certains ont cru que le Dieu vivant, le Dieu des chrétiens,
nous pouvons le trouver par le chemin de la méditation.
C’est dangereux !
Combien se perdent sur ce chemin et n’arrivent jamais au but.
Ils arrivent peut-être à la connaissance de Dieu,
mais pas à celle de Jésus, Christ, Fils de Dieu,
deuxième Personne de la Trinité » .

Ce sont les gnostiques modernes, les adeptes d’un Dieu spray,
les tenants d’un « christianisme liquide »
qui aiment les belles paroles
et en restent à « la superficie de la vie chrétienne ».

Ensuite il y a ceux qui sont convaincus
que le chemin pour rencontrer Dieu c’est l’ascèse.

Ils pensent « que pour arriver à Dieu,
nous devons être mortifiés, austères.
Ils ont choisi la voie de la pénitence :
seulement la pénitence et le jeûne.
Et ceux-là non plus ne sont pas arrivés au Dieu vivant,
à Jésus Christ Dieu vivant.
Ce sont les pélagiens qui croient
qu’ils peuvent atteindre Dieu par leur effort »
(cf. homélie 3/7/2013).

Ils confondent la fermeté avec la rigidité.
Ce sont les tenants d’un « christianisme rigide ».
Ils pensent que pour être chrétien,
il faut être constamment en deuil.
Ils ont un « style de vie sérieux et amidonné ».
Ce sont des chrétiens qui « regardent (toujours) le plancher »
qui ne connaissent pas la joie chrétienne
(cf. homélie du 27/6/2013)

Le Pape ne craint pas de dire
que ces gnostiques comme ces pélagiens,
ces chrétiens liquides comme ces chrétiens rigides,
ne sont pas chrétiens…
ils portent un masque de chrétien
mais ils ne le sont pas,
parce qu’ils veulent un christianisme sans Jésus.

Est vraiment chrétien celui
qui vit de Jésus,
qui fonde sa vie sur le Roc qu’est Jésus.
Est vraiment chrétien
celui qui touche les plaies de Jésus,
celui qui prend soin – corporellement – de Jésus
dans tous les blessés de la vie.
Je suis chrétien dans la mesure où je me laisse déranger
et désorganiser par les besoins des blessés
qui sont sur mon chemin.

Sinon ma foi, n’est qu’un masque…

Vous voyez que cette parabole est bien dérangeante !
Et fait elle nous provoque à un grand retournement.
Parce que le lévite était pieux et charitable,
mais le « prochain »,
c’était celui que lui reconnaissait comme prochain,
à partir de la loi.

Je suis au centre
et je décide qui est mon prochain à aider et qui ne l’est pas.
C’est comme celui dont la charité consiste à être dans son fauteuil
et à décider à quel organisme il va envoyer un chèque…

Or, à la fin de l’Évangile,
la question de Jésus retourne tout cela :
« Qui est « devenu » le prochain de l’homme blessé » ?
Qui est au centre ? L’homme blessé !

La charité dont nous parle Jésus,
c’est de me laisser déranger et appauvrir
par la personne ou la situation
qui se trouve là sur ma route
sans que je l’aie choisie.

Le légiste est appelé à un dépassement,
à une conversion dans la charité
… et nous aussi !

Cet été pourrait être cela :
un temps pour nous dépasser dans l’Amour,
pour aller plus loin.

La première lecture nous disait
de ne pas nous inquiéter :
la loi, la volonté de Dieu,
nous n’avons pas besoin d’aller la chercher je ne sais où.

De fait le précepte « numéro un »
c’est la personne blessée qui est à côté de toi.
Ta loi, c’est l’homme, la femme qui souffre à côté de toi.

Et lui, elle, c’est Jésus.
Si tu reconnais Jésus en lui, en elle,
et que tu en prends vraiment soin,
tu as trouvé Dieu.

*

Demandons l’intercession de Saint Camille de Lellis,
un homme qui buvait et qui jouait
et qui est devenu un grand saint,
un saint de la charité
qui a tout donné de lui pour prendre soin des malades.

À la fin de sa vie, il demandait au Seigneur :
« Je voudrais un cœur grand comme le monde ».

Seigneur, donne à chacun de nous
qui sommes ici de matin
un cœur grand comme le monde!
Amen.

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